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l’aveuglement des passions que dans les trois ordres l’accord en ce sens est presque unanime. La noblesse, si ferme en 1560 dans l’esprit de tolérance, est cette fois aussi ardente que le clergé pour la répression totale de l’hérésie. Au sein même du tiers-état, la grande majorité des membres, la députation de Paris en tête, s’associe à ces violences. Vainement les quelques modérés que comptent les états, groupés autour d’un homme de grand esprit, de grand cœur, de grande éloquence, Jean Bodin, tentent de résister au courant. Ils ne parviennent même pas à faire insérer dans la déclaration des états sur la nécessité de rétablir l’unité de religion ces deux mots tout chrétiens : « sans guerre. »

Mais pour faire la guerre, alors comme aujourd’hui, il ne suffit pas de la déclarer, il faut des hommes, des armes, de l’argent. Or la cour n’en a pas. Les prodigalités, le désordre toujours croissans, l’ont conduite à la détresse. Les coffres sont vides, le domaine aliéné, les gabelles engagées. Le roi est « contraint de recourir aux états, comme aux seuls médecins qui le puissent guérir de ses maux. » De ce moment, la scène change. Les deux premiers ordres tout d’abord ne demanderaient pas mieux que d’aider le roi. La raison en est simple : aider le roi, pour eux, c’est mettre des impôts sur le tiers, sur la masse du pays, sans qu’il en coûte rien à eux-mêmes. Leurs privilèges les garantissent. Les députés du tiers sont moins accommodans. Ils connaissent l’épuisement du pays. Ils savent surtout dans quelles bourses on ira puiser ; aussi refusent-ils nettement d’imposer à leurs commettans aucune charge nouvelle. Pour le coup, ceux-là même qui ont voté la guerre s’inquiètent peu de la rendre impossible en refusant ce qu’il faut pour la faire. Aux considérations d’économie viennent d’ailleurs se joindre d’autres motifs d’inflexibilité. On apprend tout d’un coup que les huguenots, prévenant leurs adversaires dans le midi, se sont jetés à l’improviste sur Bazas et sur La Réole. La guerre n’est donc plus un péril lointain dont on peut ajourner le souci ; il y a là pour les plus emportés matière à réflexion. Puis la nouvelle arrive des provinces que, sans le consentement des états, de sa seule autorité, au mépris de ses promesses, le roi fait des levées d’impôts. C’en est assez pour mettre au comble l’irritation des députés, jaloux plus que tous leurs prédécesseurs de leur droit primordial de voter librement l’impôt. La cour cependant, mise aux abois par cette résistance que la première partie de la session n’a pu lui faire craindre, a recours à tous les moyens, à la prière, à la menace, à la corruption. Henri III lui-même, abdiquant toute dignité, mendie sans se lasser un secours de plus en plus modique. Le tiers-état demeure inébranlable. Inspiré, soutenu, guidé par Jean Bodin, autour duquel cette fois, à part les Parisiens, tous se sont réunis, il ne