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les plus injurieux propos ; tantôt c’est la noblesse qui s’enflamme à son tour parce que le président de Mesmes, discourant au nom du tiers, a parlé de fraternité entre les trois ordres, et a dit que parfois les « maisons ruinées par les aînés sont relevées par les cadets. » Le clergé cependant se porte médiateur. Il échoue tout d’abord malgré le talent de son ambassadeur, un prélat de trente ans qui ne s’appelle encore que l’évêque de Luçon. Il faut, pour qu’un accommodement intervienne, qu’aux instances du clergé se joignent les ordres du roi ; il faut surtout que le roi, tranchant le différend, accorde avec la surséance du droit annuel la suppression d’un quart des pensions, — cette fois, hâtons-nous de le dire, avec le plein assentiment du clergé et de la noblesse elle-même.

Ce n’est là qu’une éclaircie : avec la rédaction définitive des cahiers, l’orage recommence. Le cahier de l’Ile-de-France, pris pour type par le tiers-état, contenait en première ligne la proposition suivante : « … le roi sera supplié de faire arrêter en l’assemblée de ses états, pour loi fondamentale du royaume, qui soit inviolable et notoire à tous, que, comme il est reconnu souverain en son état, ne tenant sa couronne que de Dieu seul, il n’y a puissance en terre, quelle qu’elle soit, spirituelle ou temporelle, qui ait aucun droit sur son royaume. » Gallican dans l’âme, — autant qu’à l’époque de la ligue il avait été romain, — le tiers se hâte d’inscrire en tête de ses chapitres cette ferme déclaration de l’indépendance de la couronne vis-à-vis du saint-siège. Sur le seul bruit de cette résolution, le clergé prend l’alarme ; il demande communication de l’article ; le tiers la lui refuse. Dès cet instant, plus de paix dans les états. Le clergé, médiateur la veille, devient partie combattante. La noblesse à son tour épouse sa querelle. Il n’est pas jusqu’au parlement qui, jaloux du grand rôle qu’a pris le troisième ordre, ne descende tout à coup dans l’arène, et, par un arrêt solennel, ne « défende à toutes personnes de tenir propositions contraires aux maximes de tout temps tenues en France et nées avec la couronne. » À cette complication, l’émotion du clergé redouble. En même temps qu’il s’efforce d’éveiller la jalousie du tiers contre la dangereuse ingérence du parlement, aidé de la noblesse, il provoque de tout son pouvoir l’intervention souveraine du monarque dans le débat. Auprès du tiers, il échoue ; mais à la cour son influence l’emporte. Le roi évoque et l’article et l’arrêt. Ce n’est pas assez encore : la régente fait jeter en prison l’imprimeur du parlement et interdit formellement au tiers l’insertion de l’article dans ses cahiers. Vainement la majorité des membres du troisième ordre tentent de protester. Après trois jours de luttes intestines, moitié contrainte, moitié surprise, le tiers-état subit l’injonction de la régente. Pour toute satisfaction, il doit se contenter de laisser vide en tête de son