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dépouillée de son indépendance, s’efforce, en réclamant pour les états la périodicité, le vote de l’impôt et le droit de paix ou de guerre, de rendre au pouvoir royal les atteintes qu’elle-même en a reçues, l’esprit de caste tempère et contre-balance cette animosité contre la royauté ; malgré tout, les descendans des seigneurs sont portés à chercher dans un roi gentilhomme le défenseur de leurs privilèges contre les conquêtes de la roture. La noblesse féodale devient noblesse de cour, et la transformation s’accuse de jour en jour davantage. Quant au tiers, il n’est plus, il est vrai, pour la royauté un instrument aussi docile qu’au temps où s’établissaient les communes, le tiers sait maintenant ce que coûte le pouvoir royal. Chargé de défrayer à lui seul les dépenses de l’état tout entier et les prodigalités des souverains, il voudrait contrôler l’emploi de cet argent qu’on lui arrache ; mais les rancunes sociales priment encore chez lui l’intérêt politique. Pour satisfaire son ressentiment contre la noblesse et sa haine des privilèges, il sert de tout son pouvoir l’unification du territoire et de l’autorité entre les mains royales. Que le roi soit fort, qu’il domine de sa justice souveraine les tyrannies locales, qu’il absorbe dans sa puissance unique les petites puissances seigneuriales, voilà ce que souhaite surtout le tiers-état. Quant à la liberté politique, quant au contrôle du gouvernement, il en a l’instinct, il y aspire, il ne néglige jamais de le réclamer ; mais pour lui ce n’est pas un principe, c’est une garantie. Aussi, quand le souverain est sage, éclairé, ménager de l’épargne de ses sujets, quand il accorde enfin aux vœux de la nation les réformes urgentes, le tiers ne demande rien de plus. Un Charles V, un Louis XII, un Henri IV gouverne sans états-généraux : nul dans le tiers-état ne songe à les lui imposer.

Ne cherchons pas ailleurs les raisons de l’impuissance politique des états-généraux ; ne nous dissimulons pas surtout que dans la somme des responsabilités c’est sur le tiers-état que doit peser la plus lourde charge. Supérieur par ses lumières, par son instruction, à la noblesse d’abord et plus tard aux deux premiers ordres, particulièrement intéressé à l’émancipation de la nation dans son sens le plus large et le plus compréhensif, représentant par sa richesse acquise, par son travail, par son industrie, tes forces vives et créatrices du pays, dressé enfin à la pratiqué de la liberté et du self-government par l’exercice de la vie municipale, il semblait naturellement destiné à prendre la direction du mouvement politique ; il pouvait, il devait mettre à profit, dans l’intérêt public, dans son intérêt propre, les rancunes de la noblesse contre la royauté. A la royauté même, il pouvait imposer ses conditions : il lui suffisait d’apporter dans ses vœux politiques la même mesure, la même persévérance que dans ses réclamations judiciaires et