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pourtant qu’on ait voulu le réduire au rôle d’orateur et de commissaire du gouvernement, chargé spécialement par le ministère de traiter telle ou telle question dans le sens qu’on lui aura prescrit. Ce sera sans doute un commissaire d’une grande autorité, un avocat d’un puissant crédit, ce ne sera plus, à proprement parler, le chef du ministère. Quand il aura terminé son discours, il faudra qu’il salue l’assemblée comme un chanteur qui finit un air de musique, et qu’il se retire dans la coulisse sans assister au reste de la représentation. C’est seulement après son départ que ses ministres pourront reprendre la discussion suspendue par sa visite ; comme personne ne lui aura répondu, il sera loisible à chacun de ne tenir aucun compte de ses avis. Ses ministres le démentiront, s’ils le croient nécessaire ; rien ne les empêchera, s’ils le jugent convenable, de manquer aux résolutions prises dans le conseil. Ils pourront tout à leur aise se rendre agréables à la majorité parlementaire aux dépens du gouvernement qu’ils serviront. Si le chef de l’état venait à se plaindre de leur faiblesse et à leur reprocher de trop gouverner « par déférence, » ils n’auraient pas de peine à répondre. « Que voulez-vous, lui diraient-ils, et de quoi vous plaignez-vous ? Nous vous apportons une majorité. Si nous vous avions soutenu, nous aurions succombé. C’est en sacrifiant votre politique que nous avons sauvé votre gouvernement. Si votre honneur n’est pas intact, si votre autorité est amoindrie, le ministère est sauf, et c’est tout ce qu’on peut nous demander, puisque notre métier est de nous entendre avec le parlement, et puisque dans la théorie parlementaire nous sommes ses délégués en même temps que les vôtres. »

Voilà le langage que le ministère pourrait tenir à son chef sous le nouveau régime que nous a fait la commission des trente, si jamais il lui prenait fantaisie de le mettre en tutelle. On aurait alors l’étrange et pitoyable spectacle d’un gouvernement sans direction et sans dignité, dont les actes seraient en contradiction avec les paroles, et qui flotterait au gré des circonstances ou des intérêts du moment. Sans doute ce gouvernement serait certain d’avoir toujours la majorité, puisqu’il se rangerait toujours à l’avis de la majorité elle-même ; mais à force de lui obéir toujours sans jamais savoir se faire écouter d’elle, il finirait par se discréditer et par s’avilir. Le pays et l’assemblée elle-même cesseraient de prendre au sérieux un pouvoir aussi humble et aussi docile. Un gouvernement n’est jamais respecté que lorsqu’il sait se faire respecter lui-même. Cela est vrai surtout du gouvernement parlementaire, qui est un gouvernement de persuasion et d’influence morale. Sous un régime de responsabilité et de libre discussion, la liberté même