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invoquer ici l’hypothèse d’un emprunt au texte biblique. Celui-ci et la tradition phénicienne proviennent bien plutôt d’une source mythique commune que l’on ne peut guère chercher ailleurs que dans la vieille mythologie cananéenne. On peut même ajouter que la version phénicienne, encore tout emmaillottée dans le mythe naturaliste, se montre plus ancienne que la transformation monothéiste et en un sens rationaliste des auteurs hébreux.

Tout porte à croire qu’il faut distinguer deux périodes dans la religion phénicienne, la première ayant pour centres principaux les sanctuaires de Byblos et de Béryte, la seconde gravitant autour de Sidon. Quand cette ville eut été à peu près détruite par les Philistins, établis en vainqueurs sur le littoral du sud palestinien, beaucoup de vieilles familles sidoniennes se réfugièrent à Tyr et y constituèrent leur gouvernement monarchique-aristocratique. L’apogée de la grandeur de Tyr doit être fixé au Xe siècle avant notre ère, sous le règne de Hiram Ier contemporain et allié de Salomon. Hiram éleva de superbes temples à son Baal, et dressa en son honneur la colonne d’or massif dont les historiens parlaient comme d’une prodigieuse merveille. Carthage, colonie tyrienne, succéda au IXe siècle à une colonie sidonienne antérieure, et sa religion fut à très peu de chose près celle de Tyr. La Ville-mère resta pour les Carthaginois le centre religieux par excellence. Depuis le IXe siècle, la religion de Tyr n’a plus d’histoire ; elle s’ouvre à des élémens étrangers, surtout égyptiens. Il faut pourtant mentionner un restaurateur de la vieille orthodoxie phénicienne, le roi de Sidon Eshmunazar, dont le sarcophage est au musée du Louvre. Ce prince rebâtit les anciens temples et s’efforça d’endiguer le courant hellénique qui menaçait d’inonder l’Orient. « Il était trop tard, dit M. Tiele, Japhet s’étendait toujours et habitait déjà dans les tentes de Sem. Eshmunazar sombra dans la tombe sans laisser de fils, type prophétique de son peuple et de sa race, fatalement condamnés à périr. »

Une question intéressante, c’est celle qui consiste à déterminer le sens exact qu’il faut attribuer aux noms divins dans l’ancienne Phénicie. On incline ordinairement à regarder les noms phéniciens Baal, Molek ou Moloch, El, Adonis, avec les féminins Baaltis, Astarté, Aschera, comme désignant autant de personnalités divines distinctes, analogues par exemple à Apollon, à Jupiter, à Junon. C’est une erreur. Le nom de Baal s’associe très souvent à d’autres noms propres de dieux, tels que Baal-Gad ; Baal-Shemesh, Baal-Zébub[1]. Or Gad est le dieu du bonheur ou la planète Jupiter ;

  1. C’est de là que vient notre nom de diable Béelzébut.