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neuve) vers le IXe siècle avant notre ère semble avoir été en rapport avec un mouvement de ce genre. Le roi Mattan avait marié sa fille Élissa avec le prêtre de Melek Sikarbaal, ce qui assurait à celui-ci une grande part dans la direction de l’état ; mais il y eut un parti mécontent, ce parti fut le plus fort, et Élissa dut s’enfuir avec son mari vers les plages lointaines. Cependant les indices d’une telle tendance vers la démocratie sont fort rares. Le sacerdoce, la royauté, l’aristocratie, formaient en Phénicie un organisme bien lié, dont chaque membre était solidaire, et qui, d’instinct comme d’intérêt, devait s’opposer à toute tentative de réforme religieuse. Aussi ne voit-on chez les Phéniciens rien qui puisse être comparé au prophétisme d’Israël. Ils eurent sans doute leurs « inspirés, » leurs « voyans, » mais ces inspirés ne dépassèrent jamais ces limbes du prophétisme qui lui servirent aussi de berceau chez les Israélites. Ce furent simplement des extatiques, des visionnaires, et, s’il est vrai que de phénomènes du même genre suspect ait pu surgir ensuite le grand prophétisme historique, semblable à ces belles fleurs qui sortent des bourgeons les plus grossiers en apparence, il ne l’est pas moins que le prophétisme, tant qu’il resta dans sa gangue originelle, fut profondément incapable d’exercer une action sérieuse sur le développement religieux du peuple. L’état phénicien fut et resta donc une aristocratie sans contre-poids, la libre pensée de la démocratie n’y fut jamais tolérée, et il arriva chez ce peuple ce qui arrive partout où une caste jalouse monopolise la science et la vie intellectuelle. Cette caste est intéressée à maintenir strictement les vieilles croyances ainsi que les vieilles institutions. Leur réforme aurait pour première conséquence de la forcer elle-même à l’abdication. Le seul progrès de la pensée compatible avec un tel état de choses consiste à donner aux croyances traditionnelles un sens symbolique ou théosophique parfaitement arbitraire, mais qui permet à quelques élus de l’intelligence de respirer à peu près à l’aise, tout en se renfermant scrupuleusement dans les formes du passé. Philon de Byblos, le dernier des Phéniciens, est une espèce de théosophe qui se comporte avec les légendes de son pays natal à peu près comme Philon, le Juif d’Alexandrie, avec les récits de l’Ancien-Testament. Encore est-il de beaucoup son inférieur quant à la richesse et à l’originalité des idées.

Reconnaissons aussi que les peuples commerçans ne sont pas inventeurs en religion : ils n’ont pas, comme les peuples agricoles ou pasteurs, le temps d’y penser beaucoup. Le commerce rend tolérant, mais indifférent aussi, et les goûts de luxe qu’il éveille et entretient s’accommodent mieux des rites pompeux et voluptueux que