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eût goûtés dans sa vie ; en ce moment encore, épuisée comme elle l’était par une longue souffrance, elle se ranimait au souvenir de ce passé qui lui semblait bien éloigné déjà Elle n’avait pas la force de retourner chez le Français, et d’ailleurs elle savait combien la haine de Nedjibé était vigilante. On ne pouvait songer davantage à introduire Maimbert dans l’enceinte de la Maison des Roses ; mais ne pouvait-elle trouver un autre moyen de se rencontrer avec lui, de le voir, de lui parler un moment ? Il y avait au jardin du harem une petite porte latérale donnant sur un chemin solitaire. On ne l’ouvrait que rarement, et la clé, suspendue dans le vestibule, était à la disposition de la cadine. A l’heure où la Maison des Roses est endormie, Elmas pouvait se glisser hors de chez elle et retrouver là Maimbert, qu’y amènerait Nazli. Les murs du jardin étaient assez hauts pour défier les voleurs, et les gardiens ne surveillaient point cette partie de l’habitation. Elmas ne voulut pas perdre de temps ; elle écrivit un billet à son amant pour lui donner rendez-vous le lendemain même à une heure avancée de la nuit.


V

Le Français ne savait comment s’expliquer le long silence de sa maîtresse : plus d’un mois s’était écoulé depuis leur dernière entrevue sans qu’elle eût donné signe de vie. Un soir, au coucher du soleil, il se promenait sur sa terrasse, en face du golfe ; il se demandait combien de temps encore durerait cette incertitude, et son esprit naturellement inquiet était agité par les plus pénibles anxiétés. Devait-il la revoir encore ? Avait-elle quitté Smyrne ? La vie des femmes de harem s’entoure d’un tel mystère qu’il était difficile de répondre à ces questions. On vint lui dire à ce moment qu’une vieille Turque voulait lui parler : il vit entrer Nazli. — Comment va la cadine ? — demanda aussitôt Maimbert en mettant les uns au bout des autres les trois ou quatre mots de turc qu’il connaissait. — Elle ne va pas bien, — répondit l’esclave, et elle remit au Français la lettre dont Elmas l’avait chargée. Maimbert y lut les lignes suivantes :

« J’ai été malade, et le suis souffrante encore. Il est possible qu’avant peu je doive m’éloigner de vous ; je tiens à vous revoir une dernière fois. Ce soir à onze heures, soyez à la porte du jardin de la Maison des Roses ; j’irai vous y rejoindre. La vieille Nazli vous conduira. A bientôt ; laissez-moi vous rappeler en attendant que je vous aime et que je suis à vous du meilleur de mon cœur. »

« ELMAS. »