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village était une partie intégrante de la civitas, et l’habitant du village était un membre de la cité. Le vrai citoyen, celui qu’on appelait curiale, était un propriétaire foncier ; il devait posséder au moins 25 arpens de terre. Il ne ressemblait pas au bourgeois du moyen âge à qui il suffisait d’avoir pignon sur rue, moins encore au bourgeois d’aujourd’hui qui peut enfermer toute sa fortune dans un portefeuille. C’était un homme qui avait des champs au soleil ; il était membre du corps municipal parce qu’il possédait une part du sol de la cité.

L’importance qu’avait le sol à cette époque se montre à nous par plusieurs symptômes. C’était sur lui que pesait la plus lourde part de l’impôt, parce qu’il était la principale richesse ; c’était de lui aussi que venait la considération. Qui n’était pas propriétaire comptait pour peu de chose. Les classes industrielles étaient reléguées dans ce qu’on appelait encore la plèbe : les commerçans aspiraient à s’en distinguer ; mais tout au plus établissait-on en leur faveur, dans la hiérarchie sociale de ce temps-là un degré intermédiaire entre la plèbe proprement dite et la classe des propriétaires. Ceux-ci portaient le poids des contributions et des charges publiques ; mais ils avaient en compensation la direction absolue des affaires municipales. A eux appartenaient de droit les magistratures, les sacerdoces, les fonctions judiciaires, tout ce qui donnait la dignité ou l’éclat à la vie. Chaque ville était administrée par sa curie, c’est-à-dire par le corps des propriétaires fonciers.

A la fin de l’empire, il existait dans toutes les provinces une classe aristocratique que l’on appelait l’ordre des sénateurs. Elle possédait des privilèges et supportait aussi des charges spéciales. Elle était héréditaire et aussi indépendante du gouvernement qu’on pouvait l’être dans un état où les mœurs étaient monarchiques autant que les lois. Ces sénateurs n’étaient autres que les plus riches parmi les propriétaires du sol. On peut voir dans les lois romaines que, pour entrer dans cet ordre, il fallait réunir plusieurs conditions, dont la principale était de posséder une grande fortune territoriale, et que l’on n’en sortait que si l’on avait perdu cette fortune. Les écrivains du Ve et du VIe siècle mentionnent fréquemment des familles sénatoriales ; ce sont toujours des familles riches en biens fonciers. Nous pouvons voir encore dans les lettres de Sidoine Apollinaire ce qu’était la classe élevée en ce temps-là Elle se composait de grands propriétaires qui possédaient de véritables châteaux entourés de vastes domaines. Ils y vivaient au milieu d’une foule nombreuse de cliens, de serviteurs, de colons ; ils partageaient leur temps entre les soins de l’exploitation rurale et les plaisirs de la chasse ou de la littérature. Pendant plusieurs mois