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alode ne se lit que dans des textes écrits en latin, que, s’il se rencontre dans quelques codes germaniques, ce n’est que dans ceux qui ont été rédigés par l’ordre de princes qui régnaient en Gaule, — que c’est surtout dans ce pays qu’il a été usité, — qu’on le trouve plus fréquemment employé dans l’ouest, le centre et le sud de la Gaule que dans le nord et dans l’est, — que, si on le rencontre parfois sur les bords du Rhin, on le rencontre beaucoup plus souvent dans les pays de Tours, d’Angers, de Nantes, de Saintes, dans l’Ile-de-France et le Ponthieu, dans le Dauphiné et la Provence, dans le Languedoc et l’Aquitaine, et qu’il devient ainsi plus fréquent à mesure qu’on s’éloigne de la Germanie[1]. On peut remarquer encore que ce mot n’était nullement particulier à la race franque ; beaucoup de chartes ou d’actes rédigés par des Francs désignent l’héritage par les mots hereditas ou res propriœ, tandis que des actes rédigés par des Gallo-Romains, inscrits sur les registres des curies, et où l’on invoque les lois romaines, emploient le mot alode[2]. Plusieurs formules qui sont du commencement du VIe siècle, fort peu postérieures par conséquent à l’établissement de quelques Germains dans l’ouest, montrent que ce mot était déjà d’un usage ancien et vulgaire dans l’Anjou et la Touraine, et elles ne laissent voir à aucun signe que ni le mot ni la chose fût une nouveauté ou une importation étrangère. Ceux qui rédigeaient ces formules étaient des hommes qui avaient l’habitude de parler et d’écrire en latin, qui d’ailleurs pesaient les mots et étaient attentifs à en conserver le sens propre ; or aucun de ces hommes ne nous avertit que le mot alode n’appartienne pas à sa langue habituelle ; ils disent indifféremment héritage, alleu, propriété, comme si les trois termes, exactement synonymes, étaient d’un égal usage et d’un même idiome.

La nature de l’alleu apparaît dans les documens d’une manière bien nette. On n’y voit jamais que l’alleu fût affecté à une classe particulière de personnes ; on n’y voit pas non plus qu’il fût réservé aux hommes de race germanique. L’alleu est aussi souvent dans les mains d’un Gaulois que dans celles d’un Franc ; on le rencontre même dans les mains des femmes. Quiconque avait le droit de propriété avait aussi l’alleu, car l’alleu et la propriété étaient une seule et même chose. L’alleu n’était pas spécialement la terre du guerrier ; on ne disait pas de lui qu’il était acquis par l’épée ; ni cette

  1. Voyez par exemple les Formules andegavenses, n° 1, 2 et 4, les formules de l’éd. de Rozière, n° 163, 221, 247, et plusieurs chartes citées par Ducange au mot alodis.
  2. On peut voir par exemple les formules qui portent les n° 130, 219, 221 et 260 dans l’édit. de M. de Rozière. — Ajoutons que l’église, qui fut, comme on sait, si fidèle au droit et à la langue de Rome, se sert du mot alode dans ses actes. Ibid., n° 327.