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en largesse ou en bienfait ; il montre clairement que l’homme qui accordait ainsi sa terre ne renonçait pas pour cela à son droit de propriété ; le concessionnaire ne pouvait jamais dire que la terre fût à lui, et il était soumis envers le concédant à un ensemble de devoirs dont la négligence constituait le délit formel d’ingratitude ou d’infidélité.

Il ne serait pas conforme à la nature humaine que ces concessions eussent été gratuites. On voit, il est vrai, que la gratuité fut d’abord une condition du précaire romain ; si un prix avait été stipulé dans l’acte, le précaire se fût transformé par cela seul en un contrat, et c’était ce qu’on voulait éviter. Cependant on peut bien croire que cette gratuité était dans la plupart des cas plus apparente que réelle ; le bienfaiteur avait toujours des moyens indirects de mettre un prix à son bienfait. Une concession révocable à volonté ne peut être qu’une concession conditionnelle ; le précaire était donc presque toujours un véritable marché et ressemblait en plusieurs points à la location. Il est digne de remarque que dans les derniers temps de l’empire l’usage de la location tendit peu à peu à disparaître. Ce fait singulier s’explique, si nous songeons qu’un grand changement venait de s’opérer dans la nature du colonat ; le fermage libre avait à peu près disparu au IIIe siècle et avait été remplacé par la servitude de la glèbe. Il s’était formé insensiblement par l’effet combiné des mœurs, des nécessités sociales et des lois des empereurs, un principe universellement admis en vertu duquel il suffisait d’être locataire ou cultivateur de la terre d’un homme pour devenir presque infailliblement l’esclave de cet homme. Prendre une terre à loyer, c’était s’exposer à être confondu avec un colon et à tomber dans la servitude. Par le précaire, on ne courait pas les mêmes risques, car on était réputé véritablement possesseur[1], et la liberté de l’homme était garantie par le droit égal qu’avaient les deux parties de « rompre le précaire » à leur volonté. C’est probablement pour ce motif que dans les derniers temps de l’empire le précaire prit insensiblement la place de la location. Le terrain que perdait le fermage libre fut occupé par la concession bénéficiaire.

Le précaire romain donnait lieu à un autre genre de convention. Pour en présenter une idée, il nous suffira de citer une loi impériale du Ve siècle qui a été conservée dans le code de Justinien. Cette loi est relative aux terres du domaine des églises : elle prononce que les églises ne pourront aliéner leurs biens ni par vente, ni par

  1. C’est ce qui ressort des textes d’Ulpien, de Gaius et de Pomponius, au Digeste, livre 43, titres 26, 2, 4, 9, 15 et 17. Le fermier au contraire n’était pas réputé possesseur. Ibid., 43, 20, 6 ; cf. Digeste, 41, 2, 37 et 40 ; 41, 3, 33.