Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 105.djvu/486

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

affaiblir cette garantie, plus utile que jamais en présence des progrès de la révolution cosmopolite ? Dans le paragraphe 17 de la constitution il est dit : « Le roi nomme à tous les emplois. » Que penserait la gauche elle-même, si on venait lui proposer un projet de loi ainsi conçu : « Le Folkething nomme aux emplois des ministres ? » Serait-il juste dès lors d’arriver par un détour, au moyen du budget, à réaliser un principe qu’on repousserait s’il était présenté sous la forme directe et claire d’une loi ? Les chefs de l’opposition comprirent qu’il fallait tenir compte des répliques de leurs adversaires. Au dernier moment, ils crurent même opportun d’atténuer la portée de leurs déclarations primitives. Tel était le but d’un nouveau manifeste que plusieurs d’entre eux publièrent à la veille du scrutin, et dans lequel, désavouant le projet de poursuivre la réforme de la constitution, ils cherchèrent en quelque sorte à s’excuser du concours non sollicité que leur prêtait le parti socialiste.

Les élections pour le renouvellement complet de la seconde chambre eurent lieu le 20 septembre 1872 ; elles ne devaient pas modifier sensiblement la composition de cette assemblée. On a classé ainsi les députés élus : trois ministres (le comte Holstein-Holsteinberg, M. Hall, lui Klein), dix nationaux-libéraux (partisans du ministère actuel), dix-sept membres du centre, pris parmi les fonctionnaires militaires et civils, les avocats et les paysans, — cinquante et un membres de la gauche-réunie, tous paysans, journalistes ou avocats, — neuf indépendans, formant le noyau de la gauche modérée, — trois députés non classés, dont un propriétaire, le comte Holstein-Ledraborg, qui est le seul catholique de la chambre, et deux officiers de l’armée, enfin huit membres de l’association socialiste du Jutland.

On le voit, les forces gouvernementales et celles de l’opposition se partageaient d’une manière presque égale en nombre. Telle était la situation quand la nouvelle assemblée inaugura ses travaux, le 7 octobre 1872. Le roi, dans le discours du trône, s’abstint de faire allusion à la lutte des partis. Deux jours après, à l’issue de la séance, le président du conseil lisait aux chambres une lettre royale par laquelle le souverain les prorogeait jusqu’au 2 décembre suivant. Le gouvernement alléguait à l’appui de cette mesure la nécessité d’élaborer les projets de lois non encore formulés ; mais sa résolution avait aussi un autre motif. Il voulait laisser aux passions excitées par l’ardeur des luttes électorales le temps de se calmer, et il pensait que deux mois suffiraient pour rétablir les choses en équilibre et pour faire faire à l’opinion publique de salutaires réflexions. Il comptait d’ailleurs sur l’appui de la première chambre, où les grands propriétaires sont très influens. Il y a lieu de remarquer en outre que la gauche-réunie, bien qu’elle ait gagné une dizaine de voix, ne compte pas beaucoup d’adhérens dans les journaux, et n’excite dans les masses que des sympathies tièdes.

Les prévisions du ministère se réalisèrent d’abord assez exactement,