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sont des radicaux. Ils ne sont peut-être pas tous d’un radicalisme aussi accentué, qu’on le croit, et plus d’un s’arrêterait sans doute à mi-chemin dans la république, fût-ce avec M. Thiers pour président ; mais enfin il n’est pas moins vrai que partout où des conservateurs, même des conservateurs républicains, se sont présentés, ils ont échoué, restant le plus souvent fort en arrière de leurs concurrens ; c’est le radicalisme qui enfin de compte a gardé l’avantage sur le terrain électoral. Voilà le fait certain, assez extraordinaire et nullement rassurant devant lequel on s’est trouvé tout à coup. Voilà justement ce qui donne à ces élections partielles du 27 avril et du 11 mai le caractère d’un événement énigmatique, peut-être gros de perturbations nouvelles, fait pour avoir aussitôt un inévitable retentissement, au dehors aussi bien qu’en France. Rien de plus menaçant, de plus dangereux, en effet, dans les conditions présentes du pays, dans cette situation où, même après qu’on aura péniblement réussi à éloigner l’étranger de notre territoire occupé pendant trois ans, il restera tant de blessures à guérir, tant de désastres à faire oublier, tant de réparations nationales à poursuivre, et qui ne peuvent être poursuivies que dans la paix sociale, par l’application réfléchie, coordonnée, d’une politique de patriotisme et de prévoyance. Qu’on se soit ému de cette diversion radicale éclatant subitement au milieu de nos difficultés et de nos préoccupations, qu’on ait tourné aussitôt ses regards avec un certain effarement vers l’assemblée, vers le gouvernement, comme pour chercher un peu partout une direction, un appui contre le péril, c’est un premier mouvement trop simple, pour qu’on puisse s’en étonner. Ce n’est point cependant une raison pour se figurer qu’on va remédier aux malaises d’une situation par des plaintes inutiles, par des récriminations échangées entre les pouvoirs publics ou par des mesures de circonstance toujours hasardeuses, le plus souvent impuissantes.

Les élections du 27 avril et du 11 mai ont une gravité réelle, moins évidemment, parce qu’elles conduisent à l’assemblée quelques radicaux de plus que parce qu’elles révèlent dans le pays une tendance, une disposition à se laisser aller aux partis extrêmes. Comment le fait est-il devenu possible ? De quelle façon peut-on rectifier régulièrement, prudemment cette situation, et arrêter cette contagion si prompte à se propager en certains momens ? Voilà toute la question. L’essentiel est de ne se méprendre ni sur la nature du mal, ni sur les moyens d’en limiter le développement et l’aggravation. Si la France nomme des radicaux, ce n’est point assurément parce qu’elle s’est éprise tout à coup du radicalisme, ce n’est point parce qu’elle éprouve le besoin de jouer sciemment, avec préméditation, son repos, sa sécurité, son avenir de nation paisible et laborieuse, à la loterie du scrutin. La France obéit aujourd’hui tout simplement à une impression maladive, l’impression d’une incertitude universelle. Elle ne sait plus réellement où elle en