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vernement de réprimer un commencement d’insurrection, prélude de l’orage qui se préparait. Un nombre d’insurgés abolitionistes conduits par un chef nommé John Brown, qui avait déjà excité des troubles en Kansas, s’était emparé de la fabrique d’armes et de l’arsenal du gouvernement à Harper’s Ferry, et y avait pris des citoyens considérables comme otages. Lee eut ordre de les délivrer, et par un coup de main hardi réussit à les sauver et à s’emparer de tous les insurgés. Il eut grand’peine à empêcher le peuple de faire justice instantanée de Brown et des autres chefs, à le remettre vivant entre les mains des autorités. De nouveau il retournait au Texas quand la crise terrible qui couvait depuis longtemps vint à éclater.

L’élection de Lincoln, nommé par le parti républicain, avait déterminé une partie des états du sud à quitter l’Union. La Caroline du sud avait « sécédé » la première le 20 décembre 1860 ; le 1er février 1861, elle était suivie par le Texas, le Mississipi, la Floride, la Géorgie, l’Alabama, la Louisiane, et les sept états confédérés nommaient pour leur président Jefferson Davis. Bientôt après, la Caroline du nord les rejoignit ainsi que le Tennessee, le Missouri, le Kentucky et l’Arkansas. Le 13 avril 1861, le fort Sumter se rendait au général Beauregard, et le lendemain paraissait la proclamation de Lincoln, appelant sous les drapeaux 75,000 hommes, pour soumettre les états déclarés rebelles. Seule entre tous les grands états du sud, la Virginie avait résisté à la sécession. Elle avait une répugnance presque invincible à se séparer de l’Union, de ce drapeau qu’elle avait si souvent illustré, et à entrer dans un conflit sanglant qui forcément se passerait sur son territoire. Pendant bien des semaines, la convention virginienne refusa de voter la sécession ; mais, obligée par la proclamation de Lincoln à fournir son contingent d’hommes, elle se décida le 17 avril à associer son sort à celui de la confédération du sud.

Lee arrivait du midi à ce moment solennel, et pour lui la question se posait douloureuse et brûlante. Suivrait-il les armes du nord ou celles du sud ? Le choix pour lui était cruel. D’un côté, l’avenir le plus brillant : la haute position et les longs et anciens services de sa famille, l’intimité de son père avec Washington et sa propre alliance avec la petite-fille du grand législateur, qui l’en rendait en quelque sorte le représentant, la considération personnelle dont il jouissait, lui assuraient les plus belles destinées. Le vieux général en chef Scott avait pour lui une telle estime et une telle affection qu’il voulait le regarder comme son successeur immédiat et disait de lui : « Il vaudrait mieux que l’armée perdît tous ses officiers, moi compris, que Robert Lee. » Aussi usa-t-il de toute son influence pour persuader à Lee de ne pas donner sa