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regardait comme si nécessaires au bonheur de l’humanité, qu’on n’était pas disposé à y renoncer facilement. Seulement les gens sensés et scrupuleux, qui savaient bien qu’il ne suffit pas à une opinion d’être vieille pour être vraie, demandaient avec instance qu’on leur donnât de celle-là une autre preuve que son ancienneté. La plupart d’entre eux souhaitaient d’avance d’être convaincus ; on les mettait évidemment à l’aise en leur montrant qu’ils ne s’étaient pas trompés, qu’il ne leur était pas nécessaire de se séparer du sentiment général, et qu’ils pouvaient continuer à croire par raison ce qu’ils avaient accepté jusque-là par instinct. C’est ce qui fit si bien accueillir en général les démonstrations que les philosophes donnèrent de l’immortalité de l’âme ; au fond, elles étaient pourtant loin d’être concluantes. Des deux questions que Platon se pose et qui concernent la persistance de la vie et l’état des âmes après la mort, il avoue qu’il n’a pas réussi à résoudre entièrement la première ; l’immortalité de l’âme reste pour lui plutôt une belle espérance qu’une vérité démontrée : « la chose vaut la peine qu’on se hasarde d’y croire, c’est un beau risque à courir, c’est un noble espoir dont il convient de s’enchanter soi-même. » Quant à la seconde, il n’essaie même pas de la traiter scientifiquement. Évidemment elle lui semble échapper à la philosophie et n’être plus de son domaine, puisqu’il ne s’appuie jamais, quand il en parle, que sur des légendes populaires. Pour essayer de savoir ce que peut devenir l’âme après qu’elle a quitté le corps, il n’a pas recours aux procédés de sa dialectique ordinaire ; il allègue le témoignage de tables d’airain apportées de pays inconnus ou les révélations d’un ressuscité. C’est nous dire ouvertement que sur ces graves questions la science est muette, et que ce qu’on a de mieux à faire, c’est de s’en tenir aux opinions du plus grand nombre.

Les fables qu’il rapporte à cette occasion diffèrent quelquefois entre elles, et il ne s’est pas donné la peine de les mettre d’accord. Il est pourtant un détail qu’on retrouve à peu près chez toutes et qu’il se garde bien d’omettre : elles racontent qu’après la mort les âmes sont amenées devant des juges et traitées suivant leur mérite. Dès lors les enfers deviennent un lieu de punition pour les méchans et de récompense pour les bons. C’était une façon plus morale de comprendre l’autre vie ; elle convenait à l’idée que ces sociétés éclairées se faisaient de la justice divine, elle plaisait beaucoup aux politiques, qui la regardaient comme un moyen efficace de contenir la foule : aussi fut-elle acceptée avec faveur partout le monde, et même introduite dans ces vieilles légendes populaires, qui primitivement ne la connaissaient pas. La première conséquence qu’elle eut en se répandant fut d’augmenter la terreur