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taches soient entièrement effacées et que l’étincelle du feu divin, qui est notre âme, revienne à sa pureté première. Dieu l’appelle ensuite sur les bords du fleuve Léthé, afin qu’elle y boive l’oubli, et la renvoie sur la terre animer un nouveau corps. De cette manière, l’Elysée contient à la fois ceux qui ont vécu et ceux qui doivent vivre, ou plutôt les uns et les autres se confondent, puisque la vie doit recommencer pour chacun mille ans après la mort. Anchise en profite pour donner à son fils le spectacle de toute sa postérité, depuis les rois d’Albe jusqu’à ce jeune Marcellus, qui fut si amèrement pleuré d’Auguste ; c’est une occasion pour Virgile de nous présenter un tableau rapide et merveilleux de l’histoire de son pays.

Il faut vraiment se faire violence et s’arracher à l’impression de ces beaux vers pour s’apercevoir que cette nouvelle description de la vie future ne ressemble pas tout à fait à celle qui nous a été d’abord présentée, et qu’il est difficile de les accorder ensemble. En réalité, il y a deux enfers distincts dans le sixième livre. Le poète a pris les élémens du premier dans les légendes populaires de la Grèce et de Rome. Nous y retrouvons Cerbère et Charon, Minos et Rhadamante, le Tartare et l’Elysée. Les morts y sont placés dans des demeures différentes d’où il semble bien qu’ils ne doivent plus sortir : jusqu’à la fin, le vautour dévorera le cœur immortel de Titye, et les bienheureux célébreront toujours leurs danses et leurs banquets dans les lieux enchantés qu’ils habitent. On ne voit pas que personne y soit soumis à aucune purification ; l’âme d’Anchise n’a pas eu besoin d’être lavée des souillures inévitables que communique le corps, puisque nous la trouvons définitivement établie au séjour du bonheur éternel presque au lendemain du jour où elle a quitté la terre. Transportés brusquement de leur demeure terrestre aux enfers, les morts y conservent le souvenir entier de leur vie passée. L’existence paraît continuer pour eux sans interruption ; ils gardent fidèlement toutes leurs affections et toutes leurs haines : Didon, toujours furieuse, détourne les yeux d’Énée, qui a causé sa perte ; Anchise tend les bras à son fils et lui fait par habitude un peu de morale. — Tout est changé dans la dernière partie du sixième livre, et c’est vraiment un enfer nouveau que le poète nous fait visiter. Il semble d’abord qu’il y représente les âmes réunies dans un même lieu : toute cette foule d’ombres légères, ces nations innombrables qui voltigent en murmurant autour du Léthé sont tout à fait confondues ensemble, et il n’est plus question de ces demeures distinctes dans lesquelles Virgile les a d’abord distribuées. Elles ont toutes besoin d’être purifiées, et la seule différence qui existe entre elles, c’est que les expiations qu’on leur impose ne sont pas tout à fait les mêmes. « Les unes, suspendues en l’air, sont battues des