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Si tous ces gens sont unis dans le sentiment que l’âme ne meurt pas avec le corps, ils ne se figurent pas tous de la même façon cette dernière demeure où doit se continuer la vie, et ne la placent pas au même endroit. Quelques inscriptions, surtout celles qui sont en vers, parlent du Tartare et de l’Elysée ; d’autres expriment de diverses manières la pensée qu’une fois le corps rendu à la terre, l’âme remonte vers sa source ; elle doit résider désormais soit dans les astres, auprès des dieux, soit dans la partie la plus pure et la plus élevée de l’air, soit dans l’espace qui s’étend entre la terre et la lune, et quelques-uns s’imaginent qu’elle est d’autant plus éloignée de la terre et rapprochée du ciel qu’elle a mené une existence plus vertueuse. Cette croyance s’accrédite à mesure que se répand la doctrine stoïcienne ; nous la trouvons quelquefois exprimée avec une vivacité qui prouve combien on était heureux de s’y rattacher. « Non, dit un père sur la tombe de son enfant, tu ne descends pas au séjour des mânes, mais tu t’élèves vers les astres du ciel. » Ce n’était pourtant encore que l’opinion des gens distingués, qui avaient quelque accès à la philosophie ; le christianisme en fit plus tard la croyance générale. Ce qui domine jusqu’à l’époque chrétienne, ce sont encore les plus anciennes opinions. La foule semble revenir avec une invincible opiniâtreté à la vieille manière de se figurer la persistance de la vie ; elle est toujours tentée de croire que l’âme et le corps sont enchaînés ensemble dans la sépulture ; elle soupçonne que le mort n’a pas perdu tout sentiment dans cette tombe où il est enfermé, elle cherche par tous les moyens à le consoler, à le distraire, à l’arracher à ce silence et à cet isolement éternels auxquels la nature a tant de peine à se résigner ; elle veut le ramener et le maintenir parmi les siens, et si elle ne peut plus le mêler tout à fait au mouvement et à l’activité des vivans, lui en donner au moins le spectacle. Voilà pourquoi les sépultures antiques étaient placées le plus souvent le long des grands chemins. La voie Latine et la voie Appienne à Rome sont bordées de tombeaux. Sur ces tombeaux on trouve souvent écrits des dialogues dans lesquels le mort écoute et répond. Tantôt il prend la parole pour consoler sa famille éplorée, tantôt il remercie ceux qui l’ont salué en passant. « Adieu, Victor Fabianus. — Les dieux vous comblent de biens, mes amis, et vous aussi, voyageurs, les dieux vous protègent pour vous remercier de vous arrêter un moment devant la tombe de Fabianus ! Que votre voyage, que votre retour s’accomplissent sans accident, et vous, qui m’apportez des couronnes et des fleurs, puissiez-vous le faire pendant de nombreuses années. »

Ce qui est tout à fait remarquable, c’est l’insistance avec laquelle le mort réclame des siens et des étrangers ces derniers égards. Il