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celle du Porc-Épic, le vaisseau étant beaucoup mieux outillé pour la pêche, ce même champ des eaux dévoila tout au contraire des trésors zoologiques d’une abondance et d’une variété extraordinaires. Somme toute, rien n’égale l’aveugle fécondité de l’abîme. Encore n’est-ce point aux astéries, aux échinidés, aux mollusques, aux crustacés qu’il convient de nous adresser, si nous tenons à connaître la véritable population ouvrière des mers, il nous faut descendre beaucoup plus bas, aux rhizopodes, aux globigérines, aux foraminifères[1]. L’océan est la grande pépinière des rudimens de la vie.

De tels êtres (les rhizopodes) sont situés aux limites extrêmes du règne animal. Ils saisissent leur proie et ils n’ont point de membres ; ils avalent la nourriture et ils n’ont point de bouche, ils la digèrent et ils n’ont point d’estomac, ils s’approprient les élémens de l’existence et ils n’ont point de système circulatoire, ils se meuvent d’un endroit à un autre et ils n’ont point de muscles, ils sentent (on est du moins porté à le croire) et ils n’ont point de nerfs ; méritent-ils le titre d’êtres organisés ? Non, ce sont, si l’on osait ainsi dire, les candidats de la vie. Pourtant ils forment dans certains cas des coquilles d’une symétrie et d’une élégance qu’on ne retrouve guère chez les autres testacés, et qui contribuent à combler les précipices de l’océan. Leur nom véritable est légion. Une masse énorme de limon vivant, quelquefois à l’état pur, d’autres fois mêlé de sable, couvre partout le lit profond, de la mer dans les régions explorées par l’Éclair ou le Porc-Epic. On peut juger de cette abondance : en une seule fois, la drague ramena d’une profondeur de,767 brasses une demi-tonne de boue visqueuse animée. De tels pygmées, qui pour le nombre feraient envie aux grains de sable de la mer, remplissent lentement et continuellement les cavités du liquide dans lequel ils vivent. Vienne le jour où des actions volcaniques soulèvent le lit des grandes eaux, ils auront préparé les matériaux du sol que fouleront les générations futures. La destinée de ces petits architectes qui n’ont jamais vu le soleil est en effet de n’apparaître à la lumière dans l’épaisseur des roches que des millions d’années après leur mort.

À toutes les époques de la nature, il doit y avoir eu des mers profondes. Le même travail de formation auquel on attribue les

  1. Infusoires pourvus de coquilles à plusieurs cloisons communiquant entre elles et avec le dehors par de petits trous ou pores. Ces petites coquilles sont si fines et si impalpables que, réunies, on les prendrait volontiers pour une masse d’argile onctueuse. À ces espèces déjà si infimes, le docteur Wallich et le célèbre professeur Huxley ont ajouté les coccolithes et les coccosphères. Enfin ce dernier a reconnu que les coccolithes et les coccosphères étaient quelquefois ensevelis dans une sorte de substance nourricière, pénétrée par un organisme vivant d’un type encore plus bas, moins défini que celui des rhizopodes, et à cet organisme il a donné le nom de bathybias.