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par la nature même : elle a nettement coupé le canton en deux parties, le district d’Uri et celui d’Urseren, séparés par la gorge profonde des Schœllenen, bordée des deux côtés de rochers de granit à pic, et au fond de laquelle mugit la Reuss. Il y a donc pour ainsi dire deux marches : la marche supérieure au-dessus du Trou-d’Uri (Urner Loch), et la marche inférieure au-dessous. Dans la marche inférieure, une grande partie de la plaine est devenue propriété privée ; les bois, les alpes et quelques allmends, près des villages, sont seuls restés à la communauté primitive. Dans la haute vallée d’Urseren, longue de plus de quinze kilomètres et large de deux au plus, les beaux pâturages qu’arrose la Reuss et que baignent les brouillards des glaciers appartiennent à la corporation des usagers d’Urseren. Une touchante légende se rattache à la façon dont les limites entre la marche d’Uri et celle de Glaris ont été fixées jadis. Des pics glacés et une haute chaîne de montagnes séparent les deux cantons partout, sauf au passage de Klausen, par lequel on peut se rendre facilement de la vallée de la Linth dans celle de la Reuss. Au temps jadis, les gens de Glaris et ceux d’Uri se disputaient et se battaient souvent pour les limites indécises de leurs pâturages. Pour régler le différend, ils convinrent que le jour de Saint-George deux coureurs partiraient, au premier chant du coq, du fond de chaque vallée, et que la frontière serait fixée là où ils se rencontreraient. Le départ devait être surveillé à Altdorf par des Glaronais, et à Glaris par des gens d’Uri. Les Glaronais nourrirent le mieux qu’ils purent le coq qui devait donner le signal à leur coureur, espérant que, plein de vigueur, il chanterait de très bon matin. Les gens d’Uri au contraire firent jeûner leur coq ; la faim le tint éveillé, et il donna le signal du départ longtemps avant l’aube. Le coureur partit d’Altdorf, entra dans le Schächenthal, franchit le col et se mit à descendre de l’autre côté vers la Linth. Le coq de Glaris chanta si tard, que le coureur glaronais rencontra l’autre bien loin déjà sur le versant de son canton. Désespéré en songeant au déshonneur qui en rejaillirait sur les siens, il pria beaucoup pour obtenir une délimitation plus équitable. « Ecoute, répondit l’autre, je te concéderai toute l’étendue de terre que tu pourras parcourir en remontant la montagne, moi sur ton dos. » Ainsi dit, ainsi fait. Le Glaronais remonta tant qu’il put jusqu’à ce qu’épuisé de fatigue il tombât mort au bord d’un ruisseau nommé Scheidbächli (ruisselet du partage). C’est ainsi que l’Urnerboden, situé sur le versant glaronais, au-delà du partage des eaux, appartient à Uri. Naïve tradition où, comme souvent dans l’histoire suisse, le citoyen donne sa vie pour le bien de son pays !

On ne possède pas de mesurage exact de l’étendue des allmends d’Uri. Une estimation faite en 1852 porte que les alpes appartenant