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économique du pays. Il subsiste par lui-même pour le bien permanent du village et non pour l’avantage immédiat et transitoire de ses membres. C’est ainsi qu’il est interdit à ceux-ci de vendre ou de diminuer la valeur de la propriété commune. C’est d’ordinaire le premier article des statuts, et la commune ou l’état a mission d’en imposer le respect. Ces personnes civiles se sont développées dans l’état, sous son contrôle et avec son appui ; mais elles lui sont antérieures. La « marche » a précédé la commune et l’état, et son organisation administrative a servi de type à la leur. Les communautés d’usagers, qui sont la continuation en ligne directe des anciennes marches, ont conservé un caractère public. Leurs règlemens, comme les by-laws anglais, ou comme les décisions des assemblées des polders en Hollande, sont appliqués par les tribunaux. Les résolutions votées par la majorité lient la minorité, et la force publique peut contraindre celle-ci à s’y soumettre. Cependant pour aliéner une partie du patrimoine ou pour accepter de nouveaux associés, il faut l’unanimité.

Suivant M. Heusler, le droit que ces communautés exercent sur leur domaine est non pas un droit de « propriété collective, » Miteigenthumsrecht, c’est un droit de « propriété commune, » Gesammt eigenthumrecht : ce n’est pas une collection d’individus qui possèdent, c’est une corporation perpétuelle qui se conserve immuable à travers les siècles, quel que soit le nombre de personnes qui en font partie. L’usager n’a pas une part de la propriété foncière, il a seulement droit à une portion proportionnelle du produit des biens communs. La propriété privée est subordonnée à la propriété de ces communautés sous plus d’un rapport. Ainsi à certaines époques les usagers ont le droit de faire paître leurs troupeaux sur les terres des particuliers. Ceux-ci ne peuvent couper à leur guise les bois qui leur appartiennent, car, s’ils les rasaient entièrement, ils auraient besoin de demander plus de chauffage à la forêt commune. Beaucoup de règlemens leur interdisent aussi d’agrandir leur maison ou leurs étables sans l’avis conforme des experts de la corporation, parce que ces constructions agrandies exigeraient plus de bois pour leur entretien. La propriété privée doit toujours et partout le passage à la propriété commune. Ce ne sont pas là des servitudes dans le sens que le droit romain attache à ce mot, ce sont les restes de l’organisation agraire primitive. La propriété privée est sortie de la propriété commune ; elle en est encore imparfaitement dégagée, et elle en conserve les liens. Les preuves de ce fait abondent. Nous savons par l’histoire que le pays d’Uri et celui de Schwytz ne formaient primitivement chacun qu’une seule « marche » commune. Le Trattrecht ou droit de vaine pâture, — klauwengang en Néerlande, — est encore appelé par les