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son redoutable fils, et elle le brandit au-dessus de la tête du petit dieu, qui s’efforce de le reprendre. Malheureusement la déesse manque d’élégance, de grandeur et de vraie beauté ; sa forme est molle et n’a rien de sculptural. L’enfant au contraire est d’un joli style, quoique légèrement mignard : tout blond, tout potelé, l’air innocent et boudeur, il se dresse avec effort sur la pointe de ses petits pieds, la tête renversée, les bras étendus, les mains ouvertes avec une ardeur de désir inexprimable. On sent qu’il va pleurer, si ce jeu cruel se prolonge. Cette toile après tout n’est pas indigne du talent de M. Giacomotti. — On n’en saurait dire autant du portrait de femme en robe de velours rouge qu’il expose en même temps. Est-ce la faute du modèle ? N’est-ce pas plutôt la faute du peintre ? Ce portrait froid, distingué, même assez noble, produit un effet presque grotesque, grâce à un visage blafard, grimaçant et incorrect.

Des nudités mythologiques aux nudités d’atelier, il y a peu de distance, et l’étude du corps nu est toujours plus ou moins un sujet de style. Les femmes couchées, peut-être un peu moins nombreuses cette année que de coutume, tiennent encore une place importante au Salon. Il y en a de diverses espèces, depuis l’Épave de M. Jules Garnier, qui se recommande surtout par une signature à fioritures provoquantes et par une chevelure rousse à tous crins, conçue dans le même style calligraphique, jusqu’à la Baigneuse endormie de M. Gervex, un bon élève de M. Cabanel, et à la femme non moins endormie que M. Collin, autre bon élève du même maître, a étendue sur une peau d’ours blanc. Celle de M. Charbonnel, un réaliste de l’école de M. Carolus Duran, est assise ; elle sort du bain, et une duègne lui essuie les épaules. Il y a de la vigueur dans cette peinture, un coloris brutal, mais franc, un modelé juste et ferme. Malheureusement l’œuvre de Rembrandt renferme un tableau analogue, dans lequel, à défaut de la noblesse des formes, la laideur du principal personnage est parée de toute la poésie de la couleur, de toute la magie du clair-obscur. Ici au contraire rien de pittoresque : c’est la plate réalité mise en pleine lumière, en toute nudité, dans la pose à la fois la plus triviale et la plus disgracieuse, sans rien qui relève ou qui déguise la vulgarité du modèle. Il est dommage de voir se perdre ainsi, faute de goût, de véritables facultés de peintre.

Voici enfin trois œuvres de style qui peuvent, faute de mieux, reposer la vue et rasséréner l’esprit : c’est le Saint George de M. Gauthier, la Baigneuse de M. Schutzenberger et le Vin de M. Mazerolle. Ce dernier, nous l’avouons, ne nous touche guère. C’est un panneau décoratif exécuté pour servir de modèle à une tapisserie qui sera placée dans le buffet du nouvel Opéra. La