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pourpre, que le vent soulève pour lui en former une sorte de dais qui ajoute à la majesté de sa figure. Ses traits sont durs comme de l’airain ; son regard impitoyable, sa bouche serrée, respirent, avec l’orgueil du conquérant, une volonté de fer ; son front carré, ceint de lauriers, couronne à merveille ce masque arrogant et terrible. Toute cette figure d’empereur romain est un peu mélodramatique, mais d’un effet surnaturel ; ce n’est pas un homme, c’est un type, c’est la personnification de la conquête. Des cadavres gisent sous ses pas et encombrent la voie qu’il doit suivre ; quelques femmes, quelques enfans, rares survivans du massacre, se dressent sur le bord du chemin pour menacer ou maudire leur vainqueur. Deux coureurs légèrement vêtus, probablement deux mercenaires germains, tiennent la bride de son cheval blanc, qui s’arrête court, une jambe en avant, comme s’il avait peur de marcher dans ce carnage. L’un de ces hommes, à demi nu, se retourne à moitié, comme pour piquer le cheval de son épieu ; l’autre écarte brutalement une femme mourante et échevelée qui se relève, appuyée sur un bras, et qui montre le poing au césar en lui lançant une imprécation suprême. De l’autre côté, un satellite à longue barbe, sans doute encore un mercenaire barbare, tire par la jambe, pour en débarrasser le chemin, le corps d’un bel éphèbe grec tombé mort sur son bouclier, couché sur le dos, et dont la tête traîne dans la poussière. Derrière le général s’avance à grands pas, d’une robuste et magnifique allure, une colonne de légionnaires cuirassés à longues piques, aux casques ornés de crinières, gravissant avec fierté le sentier qui conduit à l’Acropole. Cette entrée en scène est d’un effet inexprimable ; on y sent un mouvement, une force irrésistible ; elle pousse en avant la figure massive et sculpturale de l’empereur. On sent que ces vétérans partagent avec leur chef l’orgueil de la victoire. La pente du terrain incliné vers le fond du tableau est elle-même presque un trait de génie : non-seulement elle rehausse le personnage central, mais elle donne au mouvement d’ascension de la colonne armée un plus grand air de hardiesse et pour ainsi dire de prise d’assaut. Tout ce côté du tableau est admirable ; à droite au contraire, la composition laisse fort à désirer. Que fait là cette gigantesque statue de bronze renversée sur les marches du temple, et dont la tête semble regarder le triomphateur ? Est-ce une statue brisée, ou n’est-ce pas plutôt un monstre fantastique éclos dans l’imagination du peintre ? On ne saurait le dire, car les tronçons de cette statue semblent flexibles, et ils suivent toutes les sinuosités du terrain. Un immense et monumental escalier conduisant au portique d’un temple, des groupes épars de morts et de mourans, de femmes, d’enfans accroupis dans