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le travail en est minutieux ; la facture de la tête et des mains rappelle celle des portraituristes hollandais. Cette tête carrée, ravinée, noueuse, surmontée de cheveux blancs aux mèches capricieuses et rebelles, se détache sur un fond brun-roux avec une certaine dureté, mais sans sécheresse. L’œil, un peu couvert, est ombragé d’épaisses broussailles grises. La bouche, sardonique et amère, s’ouvre avec un demi-rictus, comme celle d’un sanglier prêt à montrer ses défenses. Les larges plans fouillés et rocailleux des joues et du menton encadrent ce masque expressif, où l’intelligence et la volonté brillent comme une pierre dure encore à demi emprisonnée dans sa gangue. Le teint du visage est moins bien compris ; la coloration, forte et saine, mais pleine d’unité, du modèle vivant, se dénature sous le pinceau de Mlle Jacquemart, qui la rougit outre mesure et en disperse l’effet. C’est l’excès de scrupule qui est, dans la couleur comme dans le dessin, le principal défaut de cette éminente artiste. Il ne s’en faut pas de beaucoup que l’effet de cette peinture si ferme et de cette physionomie si vivante ne s’évanouisse, comme dans le portrait de M. Thiers, sous la minutie des détails rendus avec un trop grand effort de vigueur pour ne pas briser un peu l’unité de l’ensemble. Il en est de même des mains posées sur les genoux ; quoique profondément individuelles et tout à fait dans le caractère du personnage, ces grosses mains musculeuses occupent trop le devant de la toile et attirent trop fortement l’attention, si même la manière soigneuse dont les veines et les tendons sont rendus ne nuit pas à la largeur et à la fermeté de leurs plans. Quant aux accessoires, aux vêtemens, à tout cet appareil négligé qui sied si bien au personnage, Mlle Jacquemart les a revêtus, eux-mêmes d’une décence froide, d’un vernis sec et rigide qui manque absolument de pittoresque et de réalité. Seule la cravate tordue autour du cou continue l’aspect original et un peu tourmenté du visage. Le reste du costume, dont les contours secs et durs se découpent sur le fond comme à l’emporte-pièce, n’a plus aucun intérêt ; ce n’est plus de la peinture sentie et réfléchie. D’où viennent donc chez Mlle Jacquemart ces négligences ou ces dédains étranges ? N’y faut-il pas voir une certaine indifférence native au caractère purement pittoresque des choses, et une disposition, un peu bourgeoise à méconnaître ce qu’il y a d’intérêt et d’expression même dans les objets inanimés ? — Quant à Mme de C…, c’est une toile tout à fait manquée. La tête se détache sur un fond rouge vif, avec une sécheresse glaciale. La pose est raide, on ne devine aucune forme humaine, sous ce costume prétentieux à crevés et à bouillons ; les mains et les bras semblent faits d’après un mannequin. Les meilleurs artistes ont parfois de ces défaillances, comme les plus médiocres font quelquefois des rencontres heureuses.