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XV.

Le 2 septembre 1872, comme l’express quittait à trois heures quarante la station de Hampton, un jeune homme, appuyé sur l’épaule d’un domestique qu’il appelait Watkins, sortit de la gare, prit une voiture de louage, et demanda qu’on le conduisît aux Pins. Arrivé devant la porte d’une ferme à quelques milles de la station, le voyageur descendit avec peine, et promena sur la route un regard rapide, comme si quelque chose d’insolite l’eût frappé dans l’aspect du paysage. S’appuyant de nouveau sur Watkins, il se traîna jusqu’à la ferme, et demanda M. Edward Delaney. Un vieillard qui le reçut répondit que M. Edward était parti pour Boston la veille, mais que M. Jonas Delaney était visible. Ceci ne parut pas satisfaire l’étranger, qui insista pour savoir si M. Edward Delaney n’avait laissé aucun message pour M. John Flemming. Il y avait bien une lettre pour la personne de ce nom. Après quelques minutes d’absence, le vieillard reparut avec le billet suivant.


XVI.
EDWARD DELANEY A JOHN FLEMMING.


1er septembre.

Je suis épouvanté de ce que j’ai fait. En commençant cette correspondance, je n’avais d’autre but que de désennuyer un malade. J’ai fait de mon mieux, persuadé que tu entrais dans l’esprit de ma plaisanterie ; je ne me suis douté qu’à la fin que tu la prisses au sérieux. Que te dirai-je ? — je me couvre de cendres… Je suis un paria, un chien maudit. J’avais essayé pour t’amuser d’ébaucher un bout de roman, une idylle adoucissante et anodine… Ma foi, j’ai trop bien réussi ! Mon père ne sait pas un traître mot de l’aventure ; je compte donc que tu ne le maltraiteras que le moins possible. Moi, je fuis la fureur qui va te saisir au débotté, car, mon pauvre Jack, il n’y a point de manoir colonial de l’autre côté de la route, il n’y a point de piazza, point de hamac, il n’y a point de Marjorie Daw !


T. -B. ALDRICH.