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intelligence comme cause suprême de différentiation, n’est pas moins ancienne. « Tout était mêlé, dit Anaxagore de Clazomène ; une intelligence survint et ordonna tout. » Platon, après avoir défini la matière un être très difficile à comprendre, lieu éternel, ne périssant jamais et servant de théâtre à tout ce qui commence d’être, ne tombant pas sous les sens, mais perceptible pourtant, et que nous ne faisons qu’entrevoir à travers un songe, nous dit que le suprême ordonnateur « prit cette masse qui s’agitait d’un mouvement sans frein et sans règle, et du désordre fit sortir l’ordre. » Et cette ordination est réalisée conformément aux idées, aux prototypes des choses, dont l’ensemble constitue l’essence divine elle-même. Les activités du monde sont le reflet des idées de Dieu. À ces deux notions fondamentales, l’une de l’atomisme, l’autre de l’idéalisme, Aristote en ajouta une troisième, celle du dynamisme. D’après lui, la matière indéterminée au plus haut degré d’abstraction est sans attribut. Si elle tend toujours à la forme, à l’acte, c’est qu’il y a en elle un principe de puissance, une force. La force est, pour Aristote, le principe de la forme. Celle-ci est substantielle. Voilà toute la philosophie ancienne touchant le monde. La philosophie moderne n’a rien enseigné d’autre. L’atomisme, accru et fortifié par Descartes, à qui Newton l’emprunta, est au fond identique à celui des maîtres d’Épicure. Le dynamisme de Leibniz n’est, de même, qu’une restauration de celui d’Aristote. Et tout comme Descartes et Leibniz reproduisent les vieux maîtres helléniques, la science contemporaine recommence Descartes et Leibniz.

Mais quoi ? dira-t-on, toujours se répéter, ne jamais inventer, serait-ce la destinée fatale de la métaphysique ? Doucement ! Ces répétitions enferment un perfectionnement continu. La vérité ancienne s’est maintenue dans sa teneur initiale, mais elle a été constamment éclairée et précisée dans la suite des temps par les efforts heureux du génie spéculatif. L’atomisme grec avait une lacune énorme que Descartes a comblée en inventant l’éther, la plus merveilleuse des créations modernes. Le dynamisme d’Aristote était indéterminé, et Leibniz l’a déterminé en montrant que le type et la source de la force n’est et ne peut être que l’esprit. Il a ramené la notion de puissance à la notion d’âme. Et de nos jours, qu’a-t-on fait ? On a calculé les mouvemens, on a pénétré l’industrie de ce subtil éther, on a prouvé l’indestructibilité absolue de l’énergie, on a démontré par des exemples nombreux l’identité fondamentale des vertus appétitives et électives, de la chimie et de la cristallographie, avec celles que révèle la psychologie. L’avenir de la science et de la métaphysique est là Toutes deux suivront dans leur développement futur la même voie qu’elles suivent depuis le premier jour ; elles