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élections malvenues avaient pour conséquence tout à la fois d’affaiblir le gouvernement et de fortifier ses adversaires.

C’était déjà bien assez des élections, M. Jules Simon aurait pu se dispenser d’ajouter aux embarras du moment en offrant le spectacle d’un ministre tenant ses pouvoirs d’une assemblée ou du chef du gouvernement délégué de l’assemblée, et parlant avec peu de mesure de cette assemblée dans une réunion de représentans des sociétés savantes où la politique n’avait que faire. M. Thiers lui-même, avec son tact supérieur, ne pouvait manquer de trouver le procédé assez léger. Il ne pouvait laisser croire qu’il approuvait un tel langage, surtout lorsqu’on lui faisait honneur, à lui personnellement et à lui seul, de la libération du territoire, en refusant à la chambre toute participation à ce grand acte. Il autorisait, il devait autoriser le ministre de l’intérieur, M. de Goulard, à désavouer son collègue de l’instruction publique devant la commission de permanence qui se réunissait à Versailles. M. de Goulard, à son tour, accentuait assez vivement, peut-être un peu au-delà de la pensée du président de la république, le désaveu dont il était autorisé à se faire l’organe devant la commission de permanence, et voilà une complication de plus. Elle serait toujours venue, à vrai dire, cette complication, puisque M. Jules Simon par ses affinités avec la gauche, M. de Goulard par ses affinités avec le centre droit, représentaient au sein du gouvernement un conflit d’opinions à peu près permanent, puisque cet antagonisme, qui venait de se révéler dans un incident imprévu, était l’expression même d’une situation plus générale. Seulement le ministre de l’instruction publique aggravait fort gratuitement une crise inévitable en compromettant M. Thiers, ne fût-ce qu’en apparence, ne fût-ce que pour un instant, dans une manifestation d’hostilité contre l’assemblée. Après le discours de M. Jules Simon et le désaveu infligé au ministre de l’instruction publique par M. de Goulard, surtout après les élections, il y avait un parti à prendre.

La question était de savoir ce qu’il y avait à faire, et le choix n’était ni aussi simple ni aussi facile qu’on pourrait le croire. Si M. Thiers, cédant à ce sentiment de conservation qui se réveille en présence des menaces d’un parti extrême, inclinait vers la droite, fortifiait dans le ministère les opinions représentées par M. de Goulard, il avait l’air d’obéir à un dépit de vaincu de scrutin et d’exercer des représailles contre le suffrage universel. Si, faisant un pas de plus dans le sens de la république, il se plaçait entièrement, exclusivement au centre gauche, il avait l’air de rendre à moitié les armes devant le vote de quelques grandes villes, et il s’exposait à rencontrer devant lui, dans l’assemblée, une majorité parlementaire irritée de se voir absolument évincée de la direction des affaires par l’exclusion de son dernier représentant, M. de Goulard. M. Thiers était entouré de toutes les obsessions, et ici, au moment de se décider, on nous permettra de le dire, l’ancien