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également tenir compte de la situation morale de ce pays : quels appuis y trouverait la royauté ? Il y a une lacune immense entre les bergers qui forment la masse de la population et quelque jeunesse qui a superficiellement étudié au dehors. Le clergé lui-même, ne serait pas une force, car il est peu influent et généralement ignare. Je ne vois que la demande du protectorat commun qui puisse être utile à la Grèce. »

Le conseil était sage, mais tout plan d’arrangement péchait par la base, si l’on répugnait, pour en assurer l’exécution, à l’emploi de moyens coercitifs. « Oui, le nœud gordien est là s’écriait avec impatience le comte de Guilleminot, enfermé par les instructions du ministre dans le cadre indécis de la politique autrichienne. S’il peut une fois convenir à l’Europe de le trancher, tout deviendra facile ou du moins d’une difficulté abordable ; mais négocier, toujours négocier, éviter par tous les moyens possibles l’adoption de résolutions vigoureuses, où cela peut-il conduire, quand nous avons affaire à des gens qui ne répondent aux conseils qu’on leur donne que par des sentences du Coran ? »

Pendant que la diplomatie divisée s’agitait ainsi dans le vide, que le comte de Guilleminot continuait d’agir auprès du divan « par contenance et sans le moindre espoir de succès, » les troupes égyptiennes établies sur le plateau de Tripolitza poussaient sans obstacle leurs reconnaissances dans toutes les directions. Bien que l’ennemi se fût dispersé, qu’Ipsilanti et Colocotroni fussent rentrés à Nauplie presque seuls, Ibrahim ne se relâchait pas de sa vigilance. Il assurait ses positions, gardait ses lignes de communications et de retraite, faisait en un mot succéder à la guerre d’irruption une guerre méthodique. Il venait de marcher sur Misistra et de s’en emparer presque sans coup férir. De là il était descendu dans les deux golfes du Magne pour y détruire toutes les provisions qui s’y trouvaient. Il parcourait ainsi, le fer et la torche à la main, les divers districts de la Morée. Ayant derrière lui Modon, Coron, Navarin et de grands magasins alimentés par l’Égypte, il n’hésitait pas à dévaster zone par zone le pays. Son but évident était de réduire les populations par la famine. Il les avait déjà obligées à se réfugier dans les montagnes ; il pensait que l’hiver les contraindrait à redescendre dans les plaines, où il les aurait à sa merci. En attendant, il avait renvoyé sa flotte en Égypte, d’où devait lui venir une nouvelle armée. Du retour de cette flotte dépendait le sort de la rébellion.

Quand on n’a servi que dans une marine régulière, quand on n’a connu que des arsenaux regorgeant de vivres et de munitions, on se fait difficilement une idée des embarras de tout genre au milieu