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voulait que réconcilier le sultan avec les Grecs. » Interrompues par le voyage que l’empereur Alexandre avait dû faire en Pologne pour ouvrir la diète de Varsovie, ces conférences ne pourraient être reprises qu’au mois de juin. Il importait à notre diplomatie de s’y présenter bien informée, « On manque à Saint-Pétersbourg, écrivait le comte de Guilleminot, nous manquons nous-mêmes ici de notions claires et précises sur l’ensemble de la situation. L’Autriche est de toutes les puissances celle qui sans doute a le mieux étudié la question grecque, mais elle ne se pique pas de ne dire à ses alliés que ce qui est vrai. Elle a grand soin de bien assortir ses peintures avec ses combinaisons politiques. La cause des Grecs est belle et légitime. Le courage avec lequel ils l’ont défendue est digne d’admiration ; ce courage suffira-t-il pour en assurer le triomphe ? À n’examiner que la situation respective des combattans, il semble que, si nulle diversion n’intervient, le bénéfice du temps sera pour la Porte, dont les ressources sont plus que suffisantes pour prolonger la lutte durant bien des années encore. Les Grecs ne peuvent aujourd’hui, sans être dupes de la plus funeste illusion, s’attendre à voir leur indépendance reconnue par l’Europe. La Russie s’est formellement prononcée contre une résolution pareille. Elle veut protéger les Grecs, elle ne veut pas les voir se former en état indépendant. Les sentimens de l’Autriche sont assez connus ; ils resteront invariables, car ils sont inhérens à la politique du cabinet de Vienne. L’Angleterre affiche aujourd’hui des principes qui sembleraient favorables à la cause des Grecs ; que ceux-ci cependant ne s’y trompent point. Pour pénétrer la pensée du cabinet de Londres, il faut étudier ses intérêts. Quels sont-ils ? L’intérêt politique de l’Angleterre est que la Russie reste ce qu’elle est et où elle est. Si l’Angleterre pouvait vouloir l’indépendance de la Grèce, c’est que, jugeant Constantinople sur le point d’être envahie par les Russes, elle chercherait à opposer les Grecs aux progrès de l’empire moscovite. L’Autriche, la Russie, l’Angleterre, sont, chacune à leur manière, les ennemis des Grecs. La France seule pourrait à bon droit parler de la sincérité de ses vœux en leur faveur. Notre politique à l’égard des Turcs est hors de routine. Nous plaçons notre vraie force en nous-mêmes. Sans vouloir hâter la chute de l’empire ottoman, nous nous mettons peu en peine de l’empêcher. En un mot, si la volonté des autres cours était de reconnaître et de soutenir l’indépendance des Grecs, la France y souscrirait d’autant plus volontiers qu’en raisonnant même d’après les anciennes idées d’équilibre politique, elle verrait dans une nation jeune et pleine de vie des garanties qu’on ne saurait plus attendre des musulmans dégénérés. »