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de deux camps opposés. Les armateurs et les capitaines de Marseille se plaignaient, suivant leur habitude, d’être insuffisamment protégés ; les philhellènes, dont la voix trouvait de l’écho jusque dans la chambre haute, accusaient au contraire les bâtimens du roi de prêter leur appui à des spéculations honteuses. L’amiral ne sut pas rester insensible à ces imputations. « Lorsque dans l’agitation des passions politiques, écrivait-il au ministre, d’anonymes calomnies s’infiltrent dans les journaux, on peut les mépriser ; mais, lorsque des voix puissantes et généreuses, s’adressant à d’augustes assemblées, se rendent les interprètes de doutes accusateurs, il faut établir la vérité des faits. je suis le témoin et le garant de ceux que j’avance. Votre excellence me prescrit de lui rendre compte des mesures que j’ai prises pour obtenir satisfaction du gouvernement grec. Je dois le déclarer, monseigneur, il n’y a aucune satisfaction, aucun dédommagement à tirer de ce gouvernement. Les membres qui le composent vivent au jour le jour ; ils sont sur ce terrain dans l’impuissance la plus complète. Leur autorité est nulle, leur considération plus nulle encore. Il y a impossibilité morale et matérielle, dans la situation de la Grèce, de composer une combinaison quelconque de pouvoir. Celle qui existe ne se maintient que parce que Ricardo spécifie toujours que l’emprunt ne sera débarqué à Nauplie que dans le cas où ce gouvernement sera encore en place. Or cet emprunt, dévoré, pillé d’avance, à tellement démoralisé les Grecs, a semé de telles haines parmi eux que, si demain Ibrahim était contraint d’évacuer la Morée, la guerre civile recommencerait avec plus de violence que jamais. Il n’y a ici d’autre droit que la force ; c’est la force qui décide de toute contestation. »

On croyait généralement en Europe que le gouvernement grec était une autorité, un pouvoir, au moins dans les pays non soumis aux Turcs, qu’il avait à ses ordres une force militaire dont il dirigeait les mouvemens à son gré, une force navale obéissant à des chefs qui dépendaient entièrement de lui. On se trompait étrangement. L’armée, quand il en existait une, était l’armée de tel ou tel capitaine ; ce n’était pas l’armée du gouvernement. Les vaisseaux appartenaient à des particuliers qui en disposaient suivant leur caprice ; souvent même les équipages s’en emparaient et abandonnaient le théâtre des opérations pour aller chercher des captures plus faciles que les navires de guerre du sultan. L’île de Zea s’était vue soudainement envahie par 2,000 Albanais chassés de la Morée. Les populations de Tine, de Syra, de Naxie, n’avaient pas tardé à s’apercevoir des fâcheuses conséquences d’un pareil voisinage ; mais bientôt. un accord fut conclu entre les chefs de cette