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inventé par un ferblantier-lampiste nommé Vivien ; c’était simplement l’application du courant d’air d’Argand aux tubes qui portaient la mèche allumée. Tous les réverbères de Paris furent renouvelés sur un modèle uniforme. Ce sont ceux-là qui ont duré jusqu’à l’établissement de l’éclairage au gaz ; nous les avons connus, et sans grand’peine nous en pourrions voir encore, car il s’en faut qu’ils aient tous disparu. Ils se balançaient au-dessus des ruisseaux, qui alors coulaient au milieu des voies publiques. Des hommes embrigadés par la préfecture de police, à laquelle le service d’éclairage de Paris appartint jusqu’au décret du 10 octobre 1859, qui le fit passer dans les attributions de la préfecture de la Seine, et qu’on nommait les allumeurs, étaient exclusivement chargés des soins à donner aux réverbères. Protégés par une serpillère qui garantissait leurs vêtemens contre les taches d’huile, coiffés d’un chapeau très plat sur lequel ils portaient une vaste boîte de zinc contenant leurs ustensiles indispensables, ils ouvraient chaque matin la serrure qui fermait le tube de fer où glissait la corde de suspension. Le réverbère descendait avec un bruit désagréable et arrivait à hauteur d’homme. On le nettoyait alors, on récurait la plaque des réflecteurs, on essuyait les verres, on coupait la mèche, et dans le récipient on versait la ration d’huile de navette ou de colza ; puis chaque soir, à la tombée de la nuit, on les allumait. C’était sale, lent et fort incommode pour les voitures, qui étaient obligées d’attendre que la toilette de la lanterne fût terminée.

Les cochers n’aimaient point les réverbères et pestaient contre eux ; en effet, les conducteurs de fiacre, les postillons de diligence et de malle-poste, y accrochaient leur fouet, et bien souvent n’emportaient qu’un manche, car la lanière entortillée autour de la corde y restait suspendue. Pour certains enterremens d’apparat, lorsque le corbillard surmonté d’un catafalque atteignait une hauteur anormale, il fallait que la police fît enlever les réverbères et détacher les cordes. Deux fois, dans des circonstances analogues, pour des funérailles souveraines, on s’est trouvé fort empêché. Le 21 janvier 1815, lorsque l’on exhuma du cimetière de la Madeleine les restes de Louis XVI et de Marie-Antoinette pour les transporter aux caveaux de Saint-Denis, on avait négligé de relever les réverbères ; le char funèbre s’accrocha dans les cordes, on eut quelque peine à le dégager. L’accident se renouvela successivement plusieurs fois ; le duc de Rovigo affirme dans ses Mémoires que la foule était très en gaîté, et que l’on ne se gêna pas pour crier en riant : A la lanterne ! Au mois de décembre 1840, lorsque l’on rapporta aux Invalides la dépouille de Napoléon Ier, toute précaution avait été prise, et l’immense cénotaphe, parti de Courbevoie, arriva sans encombre à la cour d’honneur où les vieux soldats l’attendaient ; mais, lorsqu’il