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Philippe Le Bon. C’était un ingénieur des ponts et chaussées très intelligent, inventeur de génie, car il savait apercevoir toutes les conséquences d’un problème résolu. Il ne découvrit pas le gaz : on savait avant lui que le gaz hydrogène était inflammable ; mais il indiqua le premier, et d’une façon magistrale, les moyens de le préparer, de l’épurer et de l’utiliser. Sa destinée fut celle de la plupart des grands bienfaiteurs de l’humanité ; il dota le monde d’une découverte admirable qu’on lui disputa, périt misérablement et mourut pauvre.

Le Bon était né le 29 mai 1767, près de Joinville, dans cette partie de la Champagne qui devint plus tard le département de la Haute-Marne. Il avait trente ans et faisait à Paris le cours de mécanique à l’École des ponts et chaussées, lorsqu’il imagina d’étudier la nature des gaz produits par la combustion du bois. Du premier coup, avec une sagacité extraordinaire, il trouva le principe sur lequel la fabrication du gaz hydrogène carboné est fondée. Brûlant du bois en vase clos, il fit passer la fumée qui s’en dégageait à travers une nappe d’eau ; le liquidé condensait immédiatement toutes les parties bitumineuses et ammoniacales dont la fumée était chargée, et laissait échapper un gaz pur qui, enflammé, donnait une vive lumière accompagnée d’une chaleur intense. Il perfectionna ses moyens d’action, et le 6 vendémiaire an VIII (28 septembre 1799), il prit un brevet d’invention ayant pour objet « de nouveaux moyens d’employer les combustibles plus utilement, soit pour la chaleur, soit pour la lumière, et d’en recueillir les divers produits. » Comme combustible, il indiqua le bois et la houille. Deux ans plus tard, — et ceci est fort remarquable, — le 25 août 1801, il demanda et obtint un certificat d’addition pour la construction de machines mues par la force expansive du gaz. C’est le principe de ce moteur Lenoir qui partout est utilisé aujourd’hui. Le Bon s’était établi rue Saint-Dominique-Saint-Germain, dans l’ancien hôtel Seignelay, et y avait fait construire des appareils qu’il nommait thermolampes, car il cherchait à utiliser à la fois la production de la chaleur et celle de la lumière. Il fit des expériences publiques, et d’après la description qui en a été publiée on voit que c’était une illumination complète des appartemens, des cours, des jardins par mille points lumineux qui affectaient la forme de rosaces, de gerbes et de fleurs. Tout Paris cria au miracle, et le rapport officiel adressé au ministre de la marine déclare que les résultats ont dépassé et les espérances des amis des sciences et des arts. »

Ce qui, dans cette invention nouvelle, frappa le ministre et le premier consul ne fut pas l’avantage qu’on en pouvait facilement retirer pour l’éclairage public, ce fut que la distillation du bois produisait du goudron à bon marché. Qu’on se reporte à