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rester sourds aux propositions d’Ibrahim. En vain Iatrakos de Misistra et George Mavromichali insistèrent-ils pour qu’on prolongeât la résistance. 56 canons ou mortiers bombardaient la place ; l’eau était sur le point de manquer. Il parut prudent de ne pas s’exposer à lasser la clémence d’Ibrahim. C’est ainsi qu’après sept jours de pourparlers le général égyptien entra enfin en possession d’une place qui lui assurait plus qu’une base d’opérations pour son armée, car elle lui donnait en même temps un abri indispensable pour sa flotte. Impatient de saisir ce gage d’une campagne désormais facile, Ibrahim souscrivit à toutes les exigences, à tous les caprices même des assiégés. La garnison de Navarin voulut être transportée à Calamata sur des bâtimens neutres ; Ibrahim la fit embarquer à bord des navires de commerce autrichiens qu’il avait nolisés.

Les Grecs n’étaient encore rassurés qu’à demi, car il leur faudrait traverser les lignes de la flotte égyptienne. Ibrahim leur donna pour escorte une goélette française, l’Amaranthe, et une autre goélette de guerre portant le pavillon de l’empereur d’Autriche. S’il garda prisonniers Iatrakos et Mavromichali, ce fut pour les échanger contre deux pachas que les Grecs avaient refusé de comprendre en 1822 dans la capitulation de Nauplie ; ce fut peut-être aussi avec le secret espoir de séduire ces vaillans captifs. Ibrahim ne se décida pas dès le premier jour à faire en Morée la guerre d’extermination qui allait révolter l’Europe ; il ne s’y résolut que contraint en quelque sorte par l’invincible éloignement des Grecs. Il sentait l’attention du monde dirigée vers le Péloponèse, et craignait beaucoup plus qu’on n’eût pu l’attendre d’un Turc d’ameuter contre lui cette redoutable force de l’opinion dont maint symptôme lui avait déjà révélé la puissance. « Méhémet-Ali, écrivait le comte de Guilleminot, parle beaucoup d’humanité, et ne cesse de vanter les sentimens de son fils. Il répond de la discipline de ses troupes. Les ministres européens à Péra n’ont qu’une chose à faire suivant lui : obtenir que la Porte rappelle à Constantinople le capitan-pacha, et ne souffre pas que les Albanais de Reschid pénètrent jamais en Morée. »

Les armées s’usent vite en campagne. Ibrahim n’eût pas tardé à voir se fondre celle qu’il avait amenée au prix de tant de sacrifices et de persévérance à Modon, si le vice-roi n’eût pris soin de faire passer incessamment d’Égypte en Candie des renforts. Navarin s’était à peine rendu à Ibrahim que la flotte égyptienne repartait pour le port de la Sude. À la même époque, le même jour, Khosrew-Pacha quittait les Dardanelles. Les Grecs couraient le risque d’être pris entre deux feux. Ils partagèrent leurs forces navales en deux divisions. Miaulis, avec trente-quatre bricks, s’établit en croisière