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dans l’angle du bras gauche et reliant la ligne de l’épaule à celle du genou, se retourne d’un mouvement naïf vers le sein qu’on lui abandonne et qu’il presse sous la robe entr’ouverte. La tête noblement drapée de la femme s’incline légèrement, les yeux baissés ; ses traits larges et pleins, son type noble et aquilin, son port fier et grave, sont d’un ange envoyé du ciel pour consoler les misères humaines. Des bandeaux de cheveux tombent simplement des deux côtés de son visage, sous les grands plis de sa coiffure moitié italienne, moitié monacale. Ce n’est pas une madone de Raphaël, mais elle en a le recueillement, l’air de bonté, la chasteté maternelle ; ce n’est pas une matrone florentine d’André del Sarto, mais elle en a la physionomie reposée, la grâce majestueuse et placide ; ce n’est pas non plus une déesse ni une sibylle de Michel-Ange, mais elle en a l’air de grandeur, la mâle et fière beauté. En un mot, c’est le type idéal de la mère, et non-seulement de la mère, mais de la veuve devenue étrangère à tout, si ce n’est aux misères humaines, consacrant sa solitude au soulagement des créatures abandonnées et souffrantes, ne se rattachant plus à la vie que par l’exercice d’une infatigable bienfaisance et d’une infinie bonté, passant à travers ce monde avec la calme sérénité d’un devoir accompli et d’une suprême espérance. C’est de la poésie, dira-t-on, et non point de la sculpture. En effet, cette figure si belle a des défauts graves ; les bras en sont lourds et épais, les mains massives, les plans parfois compliqués et confus. — Tout cela est vrai, mais nous voulons l’oublier. C’est justement le propre du grand art que de savoir atteindre la poésie par les moyens plastiques, et de parler à l’âme à travers la matière sans se contenter de donner un plaisir aux yeux ou une satisfaction froide à l’esprit critique. Il ne faut médire en fait d’art ni du pittoresque extérieur, ni même du simple bon sens ; ce sont des qualités malheureusement trop rares pour qu’on les méprise. Rendons toujours justice aux œuvres sages, et prêchons la sagesse à celles qui en manquent ; mais quand nous rencontrons par hasard un peu de génie, fût-ce avec des imperfections graves, qu’on nous pardonne de le traiter-avec indulgence !

Du reste, même au point de vue du métier, ce groupe a des qualités supérieures. La composition n’en est peut-être pas très originale, mais elle est harmonieuse, intéressante et grandiose de tous les côtés, même par derrière, où la longue draperie qui enveloppe la tête tombe jusqu’au socle de la statue avec une véritable magnificence. On peut tourner tout autour, sans trouver un seul aspect insignifiant ou vulgaire. L’aspect principal est de face ou de trois quarts. Le profil de droite est également admirable ; la tête, d’une expression sublime, s’avance au-dessus de l’épaule et la domine avec une grandeur toute monumentale. A gauche, il y a un défaut :