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manque ; M. Carrier-Belleuse en a presque autant que de mauvais goût. Le buste en terre cuite de Mme V… en donne encore mieux la preuve ; frisée, pommadée, enjolivée, enveloppée de dentelles d’une exécution très habile, cravatée avec une savante et pittoresque négligence, laissant traîner quelques boucles de cheveux sur ses épaules dans un ingénieux désordre, cette femme élégante et sûre d’elle-même renverse sa tête en arrière, le nez au vent, l’air dédaigneux. La facture en est flamboyante, quoique limée et léchée avec soin ; on sent le fard et le cosmétique dans les lumières plates et dures qui s’abattent sur ces plans secs et polis. Nous n’avions jusqu’ici que la gravure de modes : M. Carrier-Belleuse emploie tout son talent à inaugurer un genre nouveau, que nous appellerons lai sculpture de modes.

Le doux et simple M. Chapu nous plaît à considérer après ces débauches d’élégance parisienne. Toujours fin, décent et sincère, il nous paraît cependant un peu effacé. Nous ne saurions bien juger son buste de l’abbé Bruyère, puisque nous ne connaissons pas le modèle ; c’est pourtant un morceau de sculpture assez pleine, avec un air de finesse et de bonhomie qui doit être d’une grande vérité. Le buste de Montalembert est d’un sentiment distingué, d’une facture consciencieuse et fine ; mais il nous semble que l’artiste a mal rendu le caractère et la physionomie de l’illustre orateur. C’est un Montalembert pieux, rêveur, sentimental, au regard limpide, levant les yeux au ciel ; ce n’est pas le Montalembert militant, passionné, énergique, parfois sarcastique et amer, mais aussi franc et aussi généreux dans ses affections que dans ses haines, celui enfin que nous avons connu. M. Chapu l’a bien amoindri en lui prêtant son propre génie, et en donnant à cette mâle figure la douceur attendrie d’une jeune communiante.

Tout autre est le buste de M. Chantagrel, par. M. Hiolle, qui est toujours l’artiste excellent que nos lecteurs connaissent. Voilà de la sculpture consciencieuse, intelligente et vraie ! Peut-être la flamme y manque-t-elle un peu ; mais le modèle ne prêtait guère à autre chose qu’une reproduction saine et franche de la nature. La tête, quoique massive, exprime la réflexion et la force ; le nez est saillant et un peu gros ; la barbe et les cheveux sont traités avec autant d’élégance que chez M. Carrier-Belleuse, avec autant d’effet que chez M. Carpeaux ; ils rappellent peut-être un peu trop la chevelure du buste de M. Gérome. Il pourrait y avoir là un écueil pour le talent si pur de M. Hiolle. Qu’il se contente de rester lui-même, et qu’il n’essaie pas d’emprunter aux autres des procédés qui n’ont de valeur qu’autant qu’ils sont naturels à ceux qui les emploient.