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devenait clair cependant que la situation de Paris s’aggravait par degrés. On commentait fiévreusement les nouvelles. Des bataillons de garde nationale, aux ordres des meneurs révolutionnaires, descendaient de Belleville demandant la commune, protestant contre l’armistice ; tous les signes d’une commotion populaire, d’une invasion imminente de l’Hôtel de Ville apparaissaient. Les membres du gouvernement, les ministres eux-mêmes, successivement prévenus, accouraient à leur poste. M. Jules Favre n’avait pris que le temps de ménager à M. Thiers les moyens de regagner Versailles, puis il s’était dirigé vers l’Hôtel de Ville. M. Picard seul, en homme avisé, n’était nullement convaincu de l’utilité de cette réunion sur un point devenu le rendez-vous de la sédition ; il prétendait qu’on allait se faire prendre dans une souricière, et vraisemblablement il avait pris d’avance ses mesures pour pouvoir s’évader en temps opportun. Les maires de Paris s’étaient rassemblés de leur côté à l’Hôtel de Ville pour délibérer, et ils demandaient que, pour calmer l’agitation, on décrétât des élections municipales immédiates. C’était, à vrai dire, un expédient fort équivoque dont le seul résultat pouvait être la formation quasi régulière d’une commune devant laquelle le gouvernement de la défense nationale serait nécessairement conduit à s’effacer pour faire place à un pouvoir purement parisien. Quelques-uns des membres du gouvernement ne se montraient pas néanmoins éloignés de souscrire à l’expédient, si l’on pouvait ainsi éviter un conflit. Il était deux heures de l’après-midi, une masse compacte, armée ou sans armes, remplissait la place de l’Hôtel-de-Ville, commençant à pénétrer dans le palais, forçant les grilles, enlevant les portes et les escaliers d’assaut.

La confusion devenait extrême, sans avoir pris encore pourtant le caractère d’une entreprise révolutionnaire déterminée. le général Trochu, M. Jules Favre, recevaient des députations ou parcouraient les salles s’efforçant de faire comprendre l’armistice, d’expliquer l’abandon du Bourget. Ils n’étaient guère écoutés. Ils se hâtaient de regagner la salle du conseil, où ils retrouvèrent leurs collègues, lorsque tout à coup, après trois heures, la porte cédait sous un effort violent, ouvrant passage à une foule désordonnée, bruyante, composée de gardes nationaux, d’hommes du peuple, de volontaires de toute sorte, se précipitant avec des vociférations et des imprécations. Gustave Flourens et Millière paraissaient les chefs de l’invasion en plein conseil. Ici, la question se précisait : ce qu’on voulait manifestement, c’était obtenir, par ce qu’on appelait l’autorité du « peuple, » la démission du gouvernement pour le remplacer. On n’exceptait que M. Dorian, le populaire fabricateur de canons. Flourens était monté sur la table du conseil, tout galonné, botté, éperonné, soutenu par les « tirailleurs » de Belleville, dont il avait fait