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côté. Tantôt c’est quelque procès civil, une question de contrat, d’héritage, de tutelle ou d’état ; tantôt c’est une instance qui serait chez nous du ressort de la police correctionnelle, une demande de réparation provoquée par des mauvais traitemens, des injures ou des calomnies. C’est à ce dernier groupe de pladoyers que nous emprunterons, pour l’étudier ici, le discours contre Conon. Le sujet n’en a rien de bien important par lui-même, ni qui semble fait pour piquer très fort la curiosité ; il s’agit d’une simple action de coups et blessures, intentée, à propos d’une querelle de corps de garde, par un inconnu, dont nous savons à peine le nom, à l’un de ses ennemis, un brutal qui n’a pas laissé dans l’histoire plus de trace que le plaignant. Tout est dans l’art, déjà signalé par les anciens, avec lequel l’avocat a su mettre en œuvre cette pauvre matière.

Dans l’exorde, le demandeur, Ariston, pose sa plainte et indique pourquoi il s’est contenté d’une action de coups et blessures. Il aurait pu donner à son instance une autre forme, de manière à faire tomber sur la tête de Conon un châtiment plus sévère ; s’il s’en est abstenu, ce n’est pas que son droit soit douteux, c’est que, jeune encore, il a voulu témoigner de sa déférence pour les conseils de parens, d’amis plus avancés dans la vie, c’est que, par égard pour leurs avis, il s’est décidé « à ne pas se montrer, dans le redressement de ses injures, plus ardent qu’il ne convient à son âge. Ainsi ai-je fait, ajoute-t-il,… et pourtant rien ne m’eût été plus doux, Athéniens, que de le voir condamné à mort ! » Ce cri de haine a quelque chose de naïf et de sauvage ; le plaignant semble le laisser échapper malgré lui, sous l’impression trop vive encore des injures qu’il a reçues. Cet involontaire et rapide oubli de la modération qu’il s’est commandée donne à son langage un accent de sincérité plus marqué ; il lui sert aussi pour amener le récit des faits de la cause. Avant de raconter les actes de violence sur lesquels se fonde la demande actuelle, Ariston remonte aux origines mômes de l’inimitié dont le poursuivent ceux qui l’ont si fort maltraité, Conon et ses fils, dignes enfans d’un tel père :


« Nous quittâmes Athènes, il y a trois ans de cela, pour nous rendre à Panacte, où nous avions ordre de tenir garnison. Les fils de Conon, que voici, avaient leur tente près de nous, à mon grand déplaisir. C’est là en effet ce qui a donné naissance à notre querelle et à tous nos froissemens. Vous allez voir comment. Dès que ces hommes avaient pris leur repas du matin, ils passaient la journée entière à boire, et ils ne se départirent pas de cette habitude tant qu’ils restèrent dans cette garnison. Quant à nous, nous conservions dans le service les habitudes que