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d’avoir été jusqu’ici étranger aux affaires politiques, d’avoir dans le pays comme dans l’armée cette popularité honnête qui n’est une menace ni pour les lois ni pour les libertés publiques, et d’être enfin par ses habitudes heureusement dispensé de se mêler aux conflits des partis. Son pouvoir reste une magistrature constitutionnelle au-dessus ou en dehors des fluctuations parlementaires. Ce qui regarde le maréchal, on ne le discute pas ; mais le ministère, le ministère, c’est là la question. Il a la chance, ce ministère, de se trouver dès maintenant aux prises avec de singulières complications, et, pour tout dire, au milieu des difficultés qui l’entourent, il est peut-être un peu novice, il ne montre pas toujours l’expérience qui évite les mauvais pas ou qui sait s’en tirer quand elle y est engagée.

Qu’on y songe bien, ce n’est pas tout d’avoir eu un succès parlementaire en conduisant au combat des troupes passablement bariolées, venant de tous les camps. La question est aujourd’hui de maintenir une certaine cohésion parmi ces troupes qui forment l’armée de la « politique réellement conservatrice. » On est arrivé au terrible lendemain de la bataille, au partage des fruits de la victoire. Le ministère aura fort à faire, s’il veut contenter tout le monde. On le sent bien déjà il est assailli de toutes parts, c’est à qui lui demandera une révocation, une nomination ou une réintégration ; chacun veut avoir son préfet, ses sous-préfets, son procureur-général, son juge de paix. On n’a pas été jusqu’ici trop immodéré dans les hécatombes, nous en convenons, on y a mis quelque mesure ; mais on n’est pas au bout, et si le cabinet se révolte contre les exigences de tous ces députés qui croient trouver en lui un instrument docile, alors les mécontentemens commenceront, ils ont déjà commencé. On trouve qu’il y a de la lenteur dans la politique résolument conservatrice du cabinet. Comment ? on n’a pas encore destitué tout ce qui vient du 4 septembre ! On n’a pas donné la chasse aux républicains qui se sont glissés dans les fonctions ! On n’a pas replacé tout le personnel impérial, ce personnel d’élite qui a le monopole de l’expérience, du savoir, du coup de main « résolument conservateur ! » Mais alors que fait-on ? Il est donc vrai, on ne veut que continuer M. Thiers ! Le ministère est fort embarrassé, plus embarrassé qu’il ne l’avoue ; il subit la fatalité de la position qu’il s’est faite. Il lui a été dit le jour même du 24 mai, avant sa naissance, qui est du lendemain, ce mot terrible : « vous êtes les protégés de l’empire ! » Eh bien ! c’est malheureusement ainsi, on est réduit à ne pas se brouiller avec ces 20 ou 25 voix bonapartistes de l’assemblée qui ont aidé à la victoire. Avec quelle hauteur ne disait-on pas. au gouvernement de M. Thiers qu’il ne se soutenait que par la protection des radicaux ! C’était bien peu juste, puisque dans toutes les questions essentielles M. Thiers n’hésitait pas à se montrer ce qu’il était, un gouvernement conservateur et modéré, sans s’arrêter à cette considération, qu’il allait avoir les radicaux contre lui ;