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embarrasser d’exigences nouvelles la douloureuse négociation que M. Thiers poursuivait à Versailles, mais encore parce que le gouvernement enfermé dans Paris, tout victorieux qu’il était, n’avait plus la liberté de ses résolutions.

Si on eût été libre, si on avait osé, on aurait fini peut-être par accepter l’armistice même sans ravitaillement, puisqu’il n’avait plus été question d’abord comme à Ferrières de livrer en gage quelques-unes de nos plus sûres défenses. On aurait pesé ce qu’il y avait d’avantage pour la France à retrouver une représentation nationale, un gouvernement incontesté, et ce que permettait l’approvisionnement de Paris. Si Paris n’avait plus qu’un mois de vivres, la question était jugée, on ne pouvait courir la chance de perdre vingt-cinq jours à épuiser ses vivres et à ne rien faire pour en venir au bout de la trêve à capituler sous la pression de la faim, sans avoir combattu. Si au contraire, comme c’était certain, comme on aurait pu le vérifier facilement, Paris avait encore au 1er novembre un approvisionnement de près de trois mois, tout changeait de face ; le sacrifice de vingt-cinq jours n’était pas sans compensation. Pendant cette trêve momentanée, la France se donnait des pouvoirs réguliers également autorisés pour la négociation ou pour le combat, les armées de province avaient le temps de s’organiser ; Paris lui-même pouvait en profiter pour constituer plus énergiquement sa défense, et à la dernière extrémité, si à l’expiration de l’armistice la guerre devait continuer, on avait toujours sept ou huit semaines pour tenter les suprêmes efforts avec des moyens d’action bien autrement puissans. Le gouvernement n’avait ni le sang-froid nécessaire pour juger la situation qui l’étreignait, ni peut-être ce qu’il fallait d’autorité pour dominer un sentiment d’exaltation patriotique ombrageux et troublé, partagé jusqu’à un certain point par ceux qui l’avaient soutenu aussi bien que par ceux qui avaient essayé de le renverser. Le gouvernement se sentait plein de perplexités ; il craignait d’avouer la pensée d’une trêve qu’il aurait difficilement fait accepter, et déjà sur ce point il subissait la pression d’un mouvement populaire dont il semblait rester maître.

Une autre conséquence ou une autre particularité de cette journée du 31 octobre, c’est qu’après avoir vaincu on n’était pas plus libre dans la politique intérieure que dans la négociation de l’armistice. Le lendemain même, on en était à hésiter sur la mesure des répressions qu’on avait à exercer. On se croyait lié par cette transaction anonyme et insaisissable négociée entre deux portes des couloirs de l’Hôtel de Ville. Membres du gouvernement, préfet de police, chefs du parquet du palais de justice, ne s’entendaient plus. Les uns parlaient de se retirer, si on ne respectait pas ce qu’ils