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attaques du 2e corps, tout pouvait changer de face ; la bataille était peut-être gagnée dès midi. L’artillerie de la presqu’île de Saint-Maur avait eu un rôle peu efficace, non-seulement du côté de Montmesly, mais encore dans la direction des efforts de l’armée sur les hauteurs de Coeuilly. Le général Favé semblait malheureusement dominé par une seule préoccupation, c’est qu’il avait pour mission beaucoup moins d’appuyer nos soldats dans leur marche en avant que de couvrir sur la Marne une déroute qui ne pouvait manquer d’arriver d’un instant à l’autre. Le général Vinoy n’avait pas reçu d’ordres, ce qui était un tort sans doute. Puisqu’il se décidait à entrer en action, mieux valait agir lorsque la division Susbielle était encore à Montmesly que de se borner à la protéger dans sa retraite. Puisqu’il s’engageait, mieux valait persister, continuer à retenir l’ennemi, et la meilleure preuve, c’est que, le combat cessant au sud, le général Tumpling, commandant du VIe corps prussien, se hâtait de faire passer sur la rive droite de la Seine une brigade qui allait nécessairement renforcer les lignes allemandes de l’est. Malgré tout, cette journée du 30 se résumait dans un fait : nos soldats étaient toujours à la tête de Champigny, devant Villiers ; ils « couchaient sur leurs positions, » selon le mot du général Trochu, et l’ennemi avait été rudement atteint. Le soir, sur les derrières, il y avait des fuyards sur toutes les routes. Un officier wurtembergeois rentrant au Plessis-Lalande disait que, sur deux cents hommes qu’il commandait, il en ramenait trente, que sur vingt et un officiers de son régiment il en restait six. Si la victoire se juge à l’impression morale de l’ennemi, la victoire était à nous. Ce n’était malheureusement pas tout, puisqu’on n’avait fait que la moitié de l’œuvre, qu’on ne pouvait guère espérer accroître ses forces, et qu’on allait au contraire retrouver un adversaire rapidement fortifié, impatient de prendre sa revanche.

Si on l’avait pu, le mieux eût été de reprendre la lutte dès le lendemain matin. C’était le moyen de ne pas laisser aux Allemands, désormais prévenus, le temps de réaliser les concentrations qu’on devait redouter et qu’ils avaient du reste commencées ; mais on sortait du combat, quelques corps et naturellement des meilleurs avaient été fort éprouvés. Les approvisionnemens de munitions se trouvaient épuisés. Le sol restait couvert de morts et de blessés répandus sur les coteaux. Cette nuit même qui suivait le 30 novembre était des plus dures pour l’armée ou du moins pour une partie de l’armée qui avait à supporter un froid aigu sans abri, sans couvertures, sans feux de bivouac. Revenir au combat dans ces conditions le lendemain matin était difficile. Les Allemands, eux aussi, auraient eu intérêt à ne pas nous laisser nous retrancher dans les positions que nous avions prises ; mais ils avaient bien plus d’intérêt