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buèrent plus tard des retouches ou des changemens dans les titres, en un mot sur les diverses phases de leur fortune pittoresque ou commerciale. Enfin, avant que le livre de MM. de Goncourt et le catalogue dont nous parlons fussent venus compléter la série des renseignemens authentiques, un petit volume avait paru déjà dans lequel M. Yriarte, à la suite d’une intéressante notice biographique, avait réuni un certain nombre d’essais littéraires trouvés dans les papiers de Gavarni. Pour juger ce qu’a été celui-ci et ce qu’il a fait, on a donc aujourd’hui tous les témoignages nécessaires; nous voudrions, en les étudiant impartialement, arriver à en dégager le vrai sens et justifier par quelques exemples soit les reproches, soit les éloges qu’on peut adresser à cette vie et à ce talent.


I.

Il semble que pour tous les détails de son existence, comme pour toutes les inclinations de son esprit ou de son cœur, Gavarni ait principalement compté sur l’autorité future de ses propres révélations, et qu’il ait toujours entendu remplir vis-à-vis de lui-même sinon le rôle d’un surveillant sévère, au moins celui d’un observateur attentif. Aucun artiste peut-être ne s’est plus curieusement regardé vivre, aucun n’a autant écrit sur ses aventures personnelles, sur ses travaux, sur ses secrètes émotions, et il faut ajouter jamais homme non plus n’a moins cherché, la plume à la main, à se surfaire, à se tromper lui-même ou à tromper les autres. « On ne s’écrit pas, disait Gavarni en général des auteurs d’autobiographies ou de mémoires, on ne s’écrit pas, on s’imprime. » Il faut reconnaître qu’il n’a pas, quant à lui, écouté ces conseils de l ’amour-propre et que, s’il ne songeait guère en écrivant à s’accuser où à se repentir de ses défaillances, il ne songeait pas davantage à en rien dissimuler.

Depuis les premières années de sa jeunesse, ou plutôt depuis son enfance, Gavarni avait pris l’habitude de noter chaque soir ce qu’il avait vu, fait ou pensé dans la journée, et, sauf vers la fin, il resta obstinément fidèle à cette coutume. Contraste singulier, au milieu des agitations les plus tumultueuses de sa vie de plaisir comme au milieu des inquiétudes ou des tracas qu’amenait si souvent pour lui le mauvais état de ses affaires, il enregistrait avec le sang-froid et la ponctualité d’un teneur de livres les idées que lui suggérait l’heure présente ou celle qui allait sonner. Même au retour d’un bal de carnaval, même à la veille d’un emprisonnement pour dettes, il ne manquait pas de se recueillir quelques instans, non point à la manière des chrétiens, pour interroger rigoureusement sa conscience, mais pour contempler, pour analyser en dilettante ses récens souvenirs ou ses préoccupations actuelles. Que l’on parcoure