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trompé, que les parens de la jeune fille avaient dissimulé le mal épileptique dont elle était atteinte. On mit le père à la question, la famille fut envoyée en Sibérie, et l’on procéda à un nouveau choix. Morozof réussit à faire tourner la chance en faveur de Marie Miloslavski. Elle avait une sœur que le boïar épousa ; les intérêts des Morozof et des Miloslavski, c’est-à-dire des anciens et des nouveaux proches, étant devenus identiques, la nouvelle impératrice n’eut rien à craindre des herbes malfaisantes et des maléfices.

Est-il étonnant que les parens les plus ambitieux ne se soient pas toujours souciés d’exposer leurs filles à de tels dangers, et que les fiancées impériales ne soient entrées qu’avec tremblement dans ce brillant et sinistre Terem, où resplendissaient sur des murailles d’or des figures d’anges et de bienheureux, mais où les enchantemens du démon avaient une si redoutable puissance ? .. Sous Alexis, on arrêta le gentilhomme Kokoref, accusé d’avoir proféré « des paroles indécentes. » Il avait osé dire « qu’il n’était pas bon de conduire ses filles à l’examen du tsar, et qu’il valait mieux les jeter à l’eau que de les faire entrer dans l’appartement supérieur. »

Les soucis d’une tsarine n’étaient pas finis après le mariage et le couronnement solennel à l’Assomption. Si le tsar l’avait tirée du néant pour l’élever à la royauté, c’était pour quelle donnât des héritiers à la monarchie. La fécondité achevait seule d’en faire une souveraine : une stérilité prolongée l’eût frappée de déchéance. Aussi que devait être son tourment, le tourment de ceux dont la fortune était attachée à la sienne, quand cette bénédiction du ciel se faisait attendre ! Sophie Paléologue, femme d’Ivan le Grand, ne lui avait d’abord donné que des filles. Or, dans les idées du temps, ce n’était pas être mère que de ne pas donner de progéniture masculine. Dans son désir passionné d’un héritier, le couple impérial se rendit au tombeau de saint Serge à Troïtsa. Comme la tsarine suivait le vallon qui longe les murs du monastère, tout à coup apparut devant elle un vieillard à l’air imposant qui portait dans ses bras un petit enfant mâle. Il le jeta dans le giron de la princesse et disparut. Sophie Paléologue, saisie d’une terreur religieuse, s’évanouit, et les femmes de sa suite, qui n’avaient rien vu, se précipitèrent étonnées pour la secourir. Quand elle revint à elle, elle chercha l’enfant que le vieillard lui avait jeté. Elle ne trouva, rien, mais elle comprit que c’était saint Serge en personne qui lui était apparu, et revint pleine d’espérance à Moscou. En effet, neuf mois après, elle mit au monde celui qui devait être Vassili Ivanovitch.

Toutes les impératrices n’avaient pas le même. bonheur. Ce Vassili, qui avait épousé à vingt-six ans Solomonie, resta vingt années sans en avoir d’enfans : immense malheur pour une maison royale ; toutes les misères engendrées par la minorité d’Ivan le Terrible