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voyageurs. L’âne marche d’un pas allègre et ferme, dressant ses longues oreilles à la vue d’un chardon qui le tente ; sur son dos, Marie est placée tenant devant elle l’enfant endormi. La tête de la Vierge est ravissante, triste et pensive ; on dirait que la mère rêve à l’avenir et entrevoit dans le lointain la crête maudite du Golgotha. Près d’elle, marchant à pied, le long bâton à la main, Joseph soutient le petit paquet où sont enfermées les hardes des fugitifs ; une cufieh, serrée autour de la tête par une corde en poils de chameau, le garantit des rayons du soleil. Cette cufieh, ce mouchoir épais en lourde cotonnade d’un usage exclusivement réservé aux hommes, est de toute antiquité ; elle ceint la tête de Darius dans la magnifique mosaïque de la Bataille d’Arbelles qui est au musée de Naples. Le paysage est absolument égyptien ; voilà les masures de limon récrépies à la chaux, voilà les bouquets de mimosas surmontés de quelques palmiers ; au loin apparaissent les falaises blanchissantes du désert libyque, que précèdent les pyramides. M. Bida a représenté celles-ci telles qu’elles étaient à cette époque avant que l’islamisme n’en eût arraché le revêtement par les mains de Saladin et de son fils Malek-el-Azis-Otsman-ben-Youssouf. Quelques chevaux réunis mangent l’orge qu’on leur a versée à l’ombre d’un massif d’arbres, et un paysan laboure la terre légère avec une charrue menée par deux maigres bœufs ; ce paysan, — ce fellah, — porte le costume que nous voyons encore aujourd’hui : c’est celui dont étaient revêtus ses ancêtres, sujets des Pharaons et des Ptolémées ; les sculptures des grottes de Beni-Haçan, d’El-Kab, de Biban-el-Molouck et de Syouth en font foi.

M. Bida ne s’est permis aucune fantaisie, il a suivi le texte et n’a pas cru pouvoir en dévier une seule fois. A propos de la vallée du Nil et particulièrement pour lui, qui la connaît si bien, il était tentant de prêter l’oreille aux traditions coptes et d’imiter l’exemple qui si fréquemment a été donné par les peintres de la renaissance. On se souvient de tous les repos en Égypte que l’on a vus dans les musées et particulièrement de celui du Corrège, si doux, si émouvant, si maternel, qui est à la tribune de Florence ? Le repos n’est qu’une tradition qui ne s’appuie sur aucun texte orthodoxe : seul l’Évangile de l’enfance en parle, et c’est un apocryphe. Cet évangile qu’on a attribué à saint Pierre, à saint Matthieu, à saint Thomas, à saint Jacques, aux nestoriens, aux marcosiens, aux manichéens, à Basilide, fut très populaire, surtout en Orient, pendant les premiers siècles ; il est resté légendaire dans beaucoup de tribus arabes, et Mahomet en eut certainement connaissance, car il le rappelle dans le chapitre intitulé la Famille d’Amramy lorsqu’à fait dire à Jésus : « Je formerai de terre la figure d’un oiseau, je soufflerai dessus, et par la permission de Dieu cet oiseau sera vivant. » On y