Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 107.djvu/870

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le rend pénible. L’hiver a ses travaux comme il a ses plaisirs, le traînage, le patinage, les montagnes de glace, plaisirs qui donnent le sentiment le plus intense du mouvement et de la vie. En Russie, comme partout, l’hiver est la saison des villes, du monde et des fêtes. Dans les campagnes, c’est la saison des charrois, ce qui est une grande affaire dans un pays où les distances sont le grand obstacle. En été, le paysan n’a que des routes insuffisantes par leur nombre, leur construction ou leur entretien ; en hiver, la neige lui en fait de magnifiques dans tous les sens, et c’est alors que les chemins s’animent. Le traînage est cependant interrompu par le dégel ; souvent, ce qui est une calamité, le défaut de neige en retarde longtemps l’établissement. C’est pendant ces alternatives de froid et de dégel, pendant la période d’insuffisance des neiges que le paysan est le plus fréquemment contraint à la vie close, et que, borné aux travaux de l’intérieur, il est le plus exposé aux tentations de l’oisiveté. Ce sont ces longs loisirs de l’hiver qui ont créé dans le nord tous ces petits métiers dont vivent tant de villages russes, et qui à leur tour ont enfanté le commerce ambulant et les nombreuses foires ou s’échangent les produits de ces industries villageoises.

Il y a dans le nord, en dehors de l’action directe du froid sur les organes, une raison qui fait au travail des conditions moins favorables que dans les pays tempérés : ce sont les alternatives et l’opposition violente des saisons. S’il nous est difficile d’en déterminer les effets physiologiques, nous apercevons un peu plus clairement quelques-uns des effets économiques du climat. Un des grands esprits de l’Angleterre, H.-Th. Buckle, a remarqué que les peuples vivant dans les latitudes élevées n’avaient point pour le travail le même goût, la même énergie que les habitans d’un climat moins rigoureux. Il attribue ce défaut à l’interruption forcée du travail pendant l’hiver, qui, par la sévérité du temps et parfois par la brièveté des jours, brise chaque année pendant des mois entiers la chaîne des occupations agricoles. Cette intermittence du travail, due aux brusques variations de l’atmosphère, lui donne quelque chose de décousu et d’instable qui réagit sur le caractère des populations, et nuit à l’esprit de suite et aux habitudes de régularité. A cet égard, Buckle allait jusqu’à comparer le nord au midi, le Danemark et la Norvège au sud de l’Espagne et de l’Italie, où l’interruption du travail pour des causes opposées, la chaleur ou la sécheresse, produit des effets analogues. S’il y a là de l’exagération, il n’en reste pas moins vrai que le nord oppose à l’agriculture et à l’industrie des difficultés particulières en mettant le travail dans la dépendance d’un climat à la fois rigoureux et capricieux, et peut-être ces inconvéniens s’étendent-ils jusqu’au caractère. Les étrangers