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d’elles dans l’œuvre commune. L’importance de cette étude paraîtra sans doute évidente lorsqu’on verra que l’Asie-Mineure a transmis aux Grecs tous les élémens asiatiques de cette culture d’où est sortie la civilisation de Rome et celle du monde moderne.


I

Les dieux et les déesses, j’entends les monumens où la piété des vieux âges a fixé leur image, sont encore les moins muets entre les rares témoins que l’archéologue peut interroger sur les antiques civilisations de l’Asie-Mineure. Les religions, les arts et l’histoire générale de la péninsule forment en effet une des provinces les moins connues dans le domaine des sciences historiques. Longtemps encore l’œuvre de la critique consistera à recueillir des faits, à les classer, à les ordonner en systèmes de plus en plus compréhensifs et de moins en moins éphémères. Point de problème plus complexe que celui des origines ethniques des nations diverses qui ont passé dans cette contrée d’Asie, sans laisser parfois d’autre trace qu’un vain nom, bientôt effacé de la mémoire des hommes. Presque toutes les races humaines se sont rencontrées et souvent mêlées en des proportions inconnues au pied du Taurus, sur les hauts plateaux de ce promontoire, dans les plaines fertiles qu’arrosent ses grands fleuves, sur ses rivages en vue de Chypre et de Rhodes, de Chios, de Samos, et du chœur des îles de la mer Egée, dont les marins pénétraient par l’Hellespont et le Bosphore de Thrace dans les froides et tristes régions du Pont-Euxin. Le langage, qui est avec la religion le plus sûr document pour établir la généalogie d’un peuple, n’est pas ici un critérium infaillible. Les conquêtes et les transportations en masse qui les suivaient souvent dans le système assyrien ont certainement modifié la langue et les cultes de plus d’une nation.

Les populations du Pont et de la Cappadoce, à l’est de l’Halys, ont été touraniennes avant que d’être sémitiques comme celles des côtes méridionales de l’Asie-Mineure. A l’ouest de l’Halys, on s’accorde à voir des Aryens, proches parens des Thraces d’Europe ; mais comment expliquer, au milieu de ces nations de race indo-européenne, la présence en très forte proportion d’élémens sémitiques dont témoignent l’histoire, la religion, l’art et la civilisation de la Lydie, avec sa dynastie assyrienne ? Si, comme Platon l’avait entrevu, si la langue des Phrygiens était après celle des anciens Italiens la plus rapprochée du grec, l’idiome des Lyciens paraît en être beaucoup plus éloigné, bien qu’on n’en puisse méconnaître le caractère aryen. Le grand peuple des Lyciens, dont l’importance historique ne le cède peut-être pas à celle de la Phrygie et de la Lydie, avait été