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l’illustre Amalasonthe. On vit ainsi se former autour de nos premiers grands classiques une école de romanciers, aussi faux que prétentieux, auxquels on pourrait justement donner le nom de classiques de l’ennui. Quoiqu’ils aient pu en bien des pages soutenir la comparaison avec Mlle de Scudéry, leurs œuvres attendaient vainement les cliens sur le perron de la Sainte-Chapelle. Ne pouvant se faire acheter par le public, ils cherchaient à se faire pensionner par le roi, et ce qu’ils ont laissé de plus curieux, ce sont leurs dédicaces, qui montrent jusqu’où la sottise humaine peut reculer les bornes de la bassesse.

Le premier ministre, Mazarin, était Italien, la reines-mère était Espagnole; les courtisans de la plume allèrent chercher leurs personnages en Italie et surtout en Espagne, ce qui était encore une manière de flatter. On put dire en littérature aussi bien qu’en politique qu’il n’y avait plus de Pyrénées, mais on n’importa guère que de la pacotille, et pendant les dix dernières années de la minorité Scarron fut à peu près le seul qui ait tenté de se frayer des voies nouvelles et qui ait produit des œuvres vraiment originales. Poète, fantaisiste burlesque, auteur dramatique, romancier, Scarron a laissé des œuvres que l’on ne saurait mieux comparer qu’à ces boutiques de bric-à-brac où s’étalent les bibelots Louis XIV. Remercîmens, chansons, rondeaux, ballets, billets, courantes, épigrammes, épîtres, épithalames, odes, stances, sonnets, tragédies, tragi-comédies, nouvelles tragi-comiques, romans, lettres, poèmes burlesques, on y trouve de tout. Aujourd’hui on ne se souvient que de l’Enéide travestie, qu’on ne lit plus, du Roman comique, qu’on lit et que l’on réimprime encore, et de quelques nouvelles qui ne manquent ni d’agrément ni de moralité. Tel est entre autres le Châtiment de l’avarice. Molière n’eût point désavoué certains traits de l’Harpagon espagnol, que le joyeux paralytique a choisi pour son héros. Cet Harpagon exotique est un jeune Navarrais, don Marcos, qui déserte ses montagnes, où les ours sont plus nombreux que les piastres, pour venir chercher fortune à Madrid. Là, il se met au service d’un gentilhomme qui lui donne toute sa confiance. Tout en s’appliquant à flatter ses goûts, à prévenir ses moindres caprices, il le vole à pleines mains, et fait si bien qu’au bout de quelques années il se trouve en possession de 10,000 écus. Les ruses qu’il emploie pour amasser ce trésor sont très agréablement racontées, et font souvenir des propos de maître Jacques. Marcos, devenu riche et rentier, fut convoité par quelques veuves qui cherchaient dans une nouvelle union un placement avantageux. L’une d’elles, dona Isidora, qui se faisait passer pour avoir 3,000 écus de rente et 10,000 livres de meubles, lui dépêche un agent matrimonial, « courtier de toute