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ou petite, chacune garde son administration, ses rites, sa langue liturgique. Le lien spirituel de la foi est le seul qu’elles connaissent; pour elles, une communion internationale n’exige point de juridiction internationale. L’unité dans l’obéissance de l’église romaine fait place, chez l’église orthodoxe, à l’union dans l’indépendance réciproque. D’un côté, c’est une monarchie unitaire et absolue, de l’autre une confédération où aucun pouvoir central permanent ne gêne l’autonomie de chaque état particulier. Pour amener toute l’église orientale sous une autorité unique, il faudrait l’unification politique de l’Orient; il faudrait, comme on l’a parfois rêvé, l’annexion de tous les peuples orthodoxes à la Russie. Pour demeurer unies de foi et de communion, les différentes églises de l’orthodoxie n’ont point besoin d’un centre commun. L’immutabilité du dogme en assure l’unité; la foi traditionnelle ne recevant ni accroissement, ni diminution, les églises qui la professent ont pu jusqu’ici se passer de toute autorité internationale, pontife ou synode, congrès permanent ou périodique. Le lien de la communion ne saurait guère être rompu, comme entre les Grecs et les Bulgares, que par des querelles de juridiction qui le laissent bientôt renouer. Cette division de l’église par peuples a, selon ceux qui en jouissent, l’avantage de concilier deux choses ailleurs séparées, l’unité religieuse et l’indépendance ecclésiastique, la catholicité et la nationalité. En Russie, quelques patriotes sont assez épris de cette constitution du christianisme gréco-slave pour y voir le germe de la rénovation religieuse de l’Europe, comme dans la commune à demi socialiste de la Grande-Russie ils prétendent voir le moyen de notre rénovation économique. Aux yeux de l’histoire, la nationalisation des églises orientales a fait leur faiblesse en même temps que leur force.


II.

La constitution nationale des églises de rite grec a pour première conséquence l’influence du pouvoir civil dans leur sein : indépendante de toute autorité étrangère, chacune d’elles l’est moins de l’état. C’est là un phénomène général dans tous les pays orthodoxes, dans la démocratie grecque comme dans l’autocratie russe. A cet égard, la situation de la Russie n’est nullement différente de celle des pays de même foi; seulement, le gouvernement y étant plus fort, le lien qui lui rattache l’église est plus étroit. La religion, ne pouvant s’isoler du milieu politique, s’est, comme toutes choses en Russie, ressentie de l’atmosphère qui l’entourait. L’église russe a été tout ce que peut être une église nationale dans un état autocratique.