Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 2.djvu/223

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

néreuses, ceux qui professent cyniquement cette exploitation des dupes et qui disent ce mot entendu de nos jours : la révolution, c’est ma carrière.

Voilà donc une figure intéressante et singulièrement expressive par le rôle que le poète lui a donné, Michelle Fléchard ou la Flécharde. Eh bien ! écoutez ses lamentations à l’heure où ses trois petits enfans sont menacés de périr dans l’incendie de la tour Gauvain, et dites s’il était possible de rendre plus ridicule une situation qui aurait pu être si touchante. Une autre, se tordant les mains, ne ferait que pousser des cris; celle-ci vocifère un discours, et quel discours ! tout y est arrangé en vue de l’effet à produire ; la simplicité est de la simplicité à effet, les bêtises sont des bêtises à effet. Quand la Flécharde a dit, non sans raison, que tout ce qui se passe dans ce temps est abominable, elle ajoute en manière de preuve : « J’ai marché des jours et des nuits, même que j’ai parlé ce matin à une femme. » Plus loin, la Flécharde fait des antithèses, antithèses de pensées et antithèses de mots, elle construit ce que Pascal appelle de fausses fenêtres : « la main du ciel me les rend, la main de l’enfer me les reprend. » Elle termine enfin par une apostrophe de mélodrame qui, n’étant pas du tout sublime, est le nec plus ultra du grotesque : « au secours ! au secours ! oh ! s’ils devaient mourir ainsi, je tuerais Dieu ! » Tout cela, ces prétentions, ces antithèses, ce fracas mélodramatique, cette femme qui crie et qui s’écoute crier, M. Victor Hugo l’a rendu plus ridicule encore en prenant soin de nous prévenir qu’il s’agit non-seulement d’une paysanne, d’une Bretonne, d’un être sans patrie, d’une femme née dans la métairie de Siscoignard, paroisse d’Azé (ce qui fait beaucoup rire le sergent de la compagnie du Bonnet-Rouge, ci-devant Croix-Rouge, né rue du Cherche-Midi), mais d’une créature qui ne vit que par l’instinct, par cet instinct maternel « divinement animal. » M. Victor Hugo a écrit cet aphorisme afin de préparer le discours que nous venons d’examiner : « ce qui fait qu’une mère est sublime, c’est que c’est une espèce de bête. »

Le manque de naturel n’est pas le seul défaut qui dépare les plus heureux épisodes de Quatre-vingt-treize de M. Hugo. Une autre cause de la froideur qu’on éprouve, c’est l’idée, vaguement entrevue d’abord et de page en page plus visible, de la candidature du poète aux suprêmes fonctions révolutionnaires. Je notais tout à l’heure qu’il avait bien pu songer à lui-même lorsqu’il traçait l’idéal portrait de Cimourdain et faisait apparaître en des lointains mystérieux l’idéale réunion de l’évêché ; maintenant, après avoir lu jusqu’au bout l’histoire de Gauvain, ce n’est plus une conjecture que je hasarde, je sens que le roman est un manifeste, — mani-