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vancent vers l’estrade; voici les fiancés, les parens, les témoins : ils s’installent précisément devant le maire, dans des fauteuils en velours de laine rouge qui évoquent l’idée des stalles d’orchestre de nos théâtres. Le greffier lit le commencement de l’acte, puis il s’interrompt, « la noce » se lève; appelant les fiancés l’un après l’autre par leur nom et leurs prénoms, le maire leur demande individuellement s’ils consentent à se prendre pour époux. La réponse doit être nettement formulée, à claire et haute voix, de façon à pouvoir être entendue par toute l’assistance; s’il y a des ascendans, le maire leur demande s’ils donnent leur consentement au mariage de leurs enfans; puis, ouvrant le petit livre rouge, il y lit les articles 212, 213, 214 du code civil, relatifs aux droits et aux devoirs respectifs des époux; il termine par le 226e qui est ainsi conçu : « la femme peut tester sans l’autorisation de son mari. » Le plus souvent tester est de l’hébreu, surtout le samedi. Aucune des prescriptions de la loi n’a été négligée, le maire déclare les époux « unis en mariage; » le greffier reprend la lecture, l’achève; les témoins, les parens et les mariés sont invités à signer l’acte rédigé sur les doubles registres de l’état civil. Le garçon de bureau crie : « N’oubliez pas les pauvres, s’il vous plaît ! » et chacun en passant met une piécette dans une bourse déposée sur la table.

J’ai assisté un samedi à ces cérémonies municipales dans la mairie d’un des principaux arrondissemens de Paris; j’ai vu huit « noces » défiler successivement devant moi ; lorsque tout fut fini, je pris la bourse, elle contenait 3 fr. 90 cent. Il n’en faut pas rire; les gens qui venaient d’être mariés appartenaient tous à la catégorie la moins riche de notre population : c’étaient des domestiques, de petits employés, des artisans; selon leur possibilité, ils avaient fait l’aumône, et, tenant compte de la recommandation, ils n’avaient point oublié les pauvres. Ils avaient fait acte de bon cœur, et c’était bien là le denier dont parle l’Evangile; mais que faut-il penser de ce financier opulent qui obtient d’être marié à une heure exceptionnelle, qui arrive dans la cour de la mairie avec grand fracas de voitures, de livrées, et qui ferme l’oreille lorsque l’on invoque sa charité, passe devant la bourse béante sans y déposer un sou et s’en va léger comme un cerf, n’imaginant pas que dans certains cas c’est commettre une mauvaise action que de n’en point faire une bonne!

Tous les gens qui se marient font-ils bon ménage? C’est là une question bien indiscrète; la statistique serait fort embarrassée pour y répondre, et cependant elle a des chiffres dont il est possible de tirer quelques renseignemens. L’union prononcée par le pouvoir civil, consacrée par l’église, semble réellement indissoluble, et ceux qui l’ont contractée vivent côte à côte pendant les longs jours de la