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Timour n’eut pas de successeurs dignes de lui. L’Asie centrale, qui avait ressenti sous ce monarque un véritable enthousiasme pour les raffinemens de la vie civilisée, retomba bientôt dans la barbarie, dont elle n’est plus sortie. « Avec la civilisation disparut l’importance politique. Les princes de Samarcande et de Bokhara avaient régné des siècles durant sur les plus belles provinces de l’Asie mahométane; mais leur rôle dans l’histoire était fini, et ce qui fut jadis le splendide empire de la Transoxiane n’est plus de nos jours que le misérable khanat de Bokhara. » Telle est la réflexion mélancolique par laquelle M. Vambéry termine l’histoire de Timour et de ses enfans. Ce passé glorieux ne doit pas cependant être laissé dans l’oubli, d’abord parce que ces souverains du moyen âge asiatique valent bien d’autres potentats contemporains dont on s’occupe beaucoup plus, et aussi parce que la lutte de races qui se révèle à chaque page de ce récit a laissé des traces profondes dans l’état social actuel et est en définitive l’explication naturelle de la plupart des événemens modernes.

Après Tamerlan, la Transoxiane fut une dernière fois victime d’une invasion touranienne dans les premières années du XVIe siècle. Un peuple turco-mogol vivait alors entre la mer d’Aral et le Volga; on l’appelait les Ousbegs en souvenir d’un de ses chefs les plus renommés. Quoique convertis depuis longtemps à l’islamisme, les Ousbegs avaient conservé les mœurs sauvages de la steppe. Ils habitaient sous la tente et se vêtaient de peaux de moutons. On les vit arriver à Samarcande en l’an 1499, puis il s’avancèrent au sud jusqu’à Meched et Hérat; la Perse avait alors un souverain valeureux, Shah Ismaïl, de la dynastie des Sefides, qui écrasa fort à propos les envahisseurs sous les murs de Merv. C’est à ce moment, on peut le dire, qu’une rupture complète se fit entre l’Iran et le Touran. Les Sefides, en qualité de musulmans chiites, ne voulaient plus reconnaître la suprématie religieuse des sunnites de Bokhara. L’Iran eut d’ailleurs, à partir de cette époque, des princes énergiques, capables de repousser les invasions des Turcs. Une barrière presque insurmontable parut s’élever alors entre l’Occident et l’Asie centrale. Celle-ci, abandonnée à son sort, n’eut plus à enregistrer dans ses annales que des luttes de famille et des guerres de succession. On eût dit qu’elle retournait vers la barbarie, dont les grands conquérans du moyen âge l’avaient fait sortir. Toutefois Bokhara semblait toujours, par un reste d’habitude, la capitale intellectuelle de l’islamisme. Les monarques de Kachgar, de la Crimée, même de l’Inde, où s’était établi le grand Akbar, un descendant de Timour, envoyaient au nord de l’Oxus des ambassades chargées de présens magnifiques; c’étaient de vaines marques de déférence. Nous voici au XVIIIe siècle. Tandis que les cours d’Ispahan, de Lahore, de Constantinople, re-