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LA QUESTION CUBAINE.

langue est absolument la même, les mœurs et les idées sont semblables par bien des points. Il n’en est pas moins vrai qu’à la longue, par le seul fait du climat et du milieu où elles vivaient, les familles espagnoles qui vinrent jadis s’établir dans l’île ont formé une race à part, proprement nommée la race créole, plus molle et plus délicate, mais plus fine aussi, plus intelligente : c’est elle qui a créé la richesse du pays ; c’est elle qui, débarrassée des entraves d’une administration tracassière, pourrait faire des Antilles un des centres les plus commerçans du monde. Dès maintenant l’instruction est plus répandue à Cuba que dans la Péninsule. Longfellow se flattait d’avoir rencontré dans cette île, cette ile de l’Éden comme il l’appelle, les poètes les plus nobles et les mieux inspirés de toute l’Amérique espagnole. Quoi qu’il en soit, sitôt débarqué, du fait de sa naissance, le moindre petit employé se croit fort au-dessus de l’indigène le plus distingué ; le créole à bon droit s’irrite de cette situation qui lui est faite, et au mépris répond par la haine : aussi y aurait-il peut-être plus de rapports, plus de sympathies entre le créole et l’homme de couleur qu’entre le créole et l’Espagnol. Par cela même en effet que celui-ci ne distingue guère le créole du nègre et veut toujours voir en lui un simple métis, le créole se trouve inévitablement porté à se rapprocher du noir, à prendre sa défense, à l’élever à lui. On ne saurait nier d’ailleurs que depuis bien dès générations déjà des unions plus ou moins légitimes n’aient amené fréquemment la fusion des races : aujourd’hui parmi les habitans de l’île le sang noir se retrouve à tous les degrés, et ces mulâtres ou métis, comparés aux blancs, ne sont peut-être ni les moins intelligens ni les moins actifs. Enfin le créole, qu’il ait ou non du sang africain dans les veines, a été, selon l’usage du pays, allaité et nourri par des négresses : c’est avec leurs enfans qu’il a été élevé, qu’il a grandi ; il s’est habitué à traiter l’esclave noir, sinon comme un égal, du moins comme un être de la maison, avec une bienveillance, une douceur, que n’aura jamais pour lui le fier Espagnol entiché de ses préjugés de race.

Nous touchons ici à cette question tant débattue de l’esclavage, question secondaire au fond dans le conflit. On est allé trop loin chez nous quand on a voulu y voir le principal motif de l’insurrection cubaine : les créoles eux-mêmes, pour recommander leur cause, ont aidé tout les premiers à cette opinion. Or il s’agit surtout pour eux de leur indépendance. Les Cubains sont fatigués de payer les frais du plus détestable régime colonial ; ils ont cette prétention bien légitime de vouloir être maîtres dans leur pays et croient, non sans raison, que leurs affaires n’en iraient que mieux. Tout compte fait, dit un correspondant du Times, il y a probablement autant de possesseurs d’esclaves chez les Cubains que chez les Espagnols ; mais