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LA QUESTION CUBAINE.

de Cuba leur importait assez peu. Quel droit auraient-ils à notre pitié ? Les seuls à plaindre véritablement, ce ne sont pas les flibustiers, mercenaires perdus par l’appât du gain, ce sont les malheureux créoles qui, comme Cespedes, comme Varona, voulaient l’indépendance de leur pays et sont tombés martyrs d’une idée.

Quoi qu’il en soit, les États-Unis se déclaraient offensés ; une note comminatoire fut envoyée au gouvernement de Madrid, réclamant la restitution immédiate du Virginius et la remise des prisonniers survivans en même temps qu’un salut au pavillon fédéral et le désaveu formel de tous les fonctionnaires compromis dans cette affaire. L’Espagne voulut d’abord s’en référer à un arbitrage ; l’orgueil castillan s’irritait surtout, comme d’une condition humiliante, de cette clause du salut ; la presse de Madrid s’emportait en vaines rodomontades et lançait contre l’ambassadeur américain, M. Sickles, les attaques les plus violentes. À Cuba, l’émotion n’était pas moins vive ; les volontaires menaçaient de brûler le Virginius plutôt que de le rendre ; ils se faisaient fort de soutenir la guerre à eux seuls, en dépit même de la métropole. Effrayé, le capitaine-général, M. Jovellar, demandait son rappel ; mais l’Amérique, de son côté, pressait les préparatifs : elle avait mis sa flotte sur le pied de guerre, et quarante-trois navires avec six cent quarante-trois pièces d’artillerie étaient déjà prêts à prendre la mer. L’issue de la lutte n’était pas douteuse. Cédant à la nécessité, après avoir pris l’avis des cabinets européens et consulté en Espagne même les politiques des divers partis, M. Castelar déclara au nom de son gouvernement qu’il était prêt à en passer par toutes les exigences du peuple américain ; mais il fallait encore ménager la susceptibilité des terribles volontaires : le Virginius fut conduit de La Havane à Bahia-Honda, sur la côte nord de Cuba, et là remis aux autorités fédérales. Force était dès lors aux États-Unis de se tenir pour satisfaits, et cependant ils n’ont pas dû sans dépit renoncer à cette magnifique occasion de saisir la précieuse Antille. Ce n’est certes pas la peur des dépenses qui les a pu retenir : une guerre contre l’Espagne n’eût été ni bien longue ni bien coûteuse ; ce n’est pas non plus la crainte d’une intervention étrangère : les puissances européennes ont assez à faire chez elles sans s’engager de gaité de cœur dans une question aussi lointaine et aussi redoutable ; ce n’est pas davantage un sentiment de sympathie pour la république espagnole : la politique des Yankees n’a point de ces faiblesses ; mais il fallait un ennemi, et au dernier moment, quand déjà ils partaient en guerre, l’ennemi leur a fait défaut. Peut-être avaient-ils compté sur l’intraitable orgueil espagnol pour envenimer les débats et rendre un conflit inévitable. D’ailleurs, s’ils parlaient bien haut de leur droit lésé, eux-mêmes, ce